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Geynet. Les têtes se redressaient, les poitrines respiraient mieux, comme si le geste du général les avait libérées de leur secrète oppression…

La prise d’armes fut courte, — une prise d’armes de front de bandière. À quelques kilomètres de là, tonnait l’artillerie lourde de l’ennemi. « Les coups font trembler les maisons, » observe l’enseigne Boissat-Mazerat, qui rejoignait la brigade à Hoogstaede ce jour même : « C’est bien ma veine. J’arrive quand la fête s’arrête. Nous sommes présentement dans un village de 300 habitans, avec des Sénégalais et des hussards. C’est plutôt encombré. »

Et c’était l’encombrement dans la boue. De guerre lasse, après avoir casé leurs hommes, vaille que vaille, dans tous les réduits susceptibles de leur offrir un abri provisoire, les officiers s’étaient partagé les dernières soupentes inoccupées. Le carré du premier bataillon du 1er régiment, plus favorisé, avait trouvé une arrière-salle d’estaminet, un jeu de cartes encrassé, une table et des bancs. Et un bridge s’était aussitôt organisé.

Les nouveaux venus, qui s’attendaient à entrer tout de suite en campagne, se montraient un peu désappointés : « J’enrage, écrivait l’un d’eux, d’avoir encore à poser à l’arrière, bien qu’il faille reconnaître que cela est nécessaire. » Et sa déception s’avivait d’entendre les camarades, ceux qui revenaient de Dixmude, « les Viaud, les Bastard, les Pitous, les Lartigue, les Pinguet, » vanter les surprises, le charme incomparable de l’existence au front. « C’est, disent-ils, la plus belle vie, la plus intense que l’on puisse imaginer, et je les crois sans peine. » En même temps que l’enseigne Boissat, la brigade vient de recevoir une nouvelle fournée d’officiers : le capitaine de vaisseau Paillet, qui remplace le « colonel » Varney, blessé le 10 novembre, le capitaine de frégate Bertrand, historiographe des marins de la Garde, dont les fusiliers continuent la glorieuse tradition, les lieutenans de vaisseau Ferrât, Roux, Huon de Kermadec, l’enseigne Goudol, le médecin principal Brugère, les docteurs Cristau, Le Goffic, etc. D’autres sont attendus.

C’est le troisième « jeu » d’officiers que nous expédient les bureaux de la rue Royale. Vaudra-t-il les précédons, le premier surtout, si magnifique d’abnégation ? Les bureaux, quoi qu’il en soit, n’ont que l’embarras du choix parmi les offres qui leur arrivent de toutes parts, de l’active et de la réserve : on sollicite