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nure de quelque chose d’habituel qu’un des officiers note sur son carnet à la date du 15 : « Journée ordinaire. » En face de Dixmude, à Caeskerke, l’ennemi n’a plus rien à détruire : tout y est pulvérisé. Oudecapelle, qu’il recherchait depuis le 14, va subir le même sort les jours suivans. L’aimable petit village s’effondre au bout de quelques heures, « y compris la maison occupée par l’état-major, qui était heureusement à l’abri dans un solide souterrain[1]. » Si indifférent au danger que soit l’amiral, il lui faut bien cette fois déménager et reporter son quartier général plus loin, dans la ferme Den Raablar, sur la route d’Oudecapelle à Forthem. Peu après, le dernier pan de l’église s’écroule : les Allemands ont atteint leur double objectif, et le bombardement cesse presque aussitôt.

Il a duré jusqu’à notre départ. À quatre heures du soir, le 10, arrivent les ordres pour la relève : les fusiliers marins seront remplacés aux tranchées de l’Yser par des hommes du 20e corps (94e territorial), sauf le 1er bataillon du 2e régiment, commandé par le capitaine de frégate Geynet, qui restera dans ses lignes jusqu’au 17.

La nouvelle circule de poste en poste. On l’attendait ; on s’en réjouissait d’avance[2] ; dans la tranchée du capitaine de Malherbe, les hommes, sur un vieux phonographe échappé au naufragé de Dixmude, s’exerçaient à répéter le Chant du Départ… Peut-être le bonheur n’aime-t-il pas qu’on l’escompte. Le vent, qui s’était mis à la neige le 15, avait de nouveau changé d’aire et sauté de l’Est au Nord-Ouest. C’était cet humide et terrible Circius auquel l’empereur Auguste fit élever un autel dans les Gaules. Le schoore mugissait. « Temps de chien, écrit le docteur Taburet. Routes ignobles. » Mais elles mènent vers la France, vers le répit, l’allégeance, sinon vers la paix définitive. Et cepen-

  1. Journal du Dr Petit-Dutaillis. « Il n’y a eu d’épargné, précise l’auteur, que la maison où j’ai reçu ma prune et où était établie mon ambulance régimentaire ; Le Marc’hadour s’y trouvait avec l’abbé Pouchard ; les dernières marmites sont venues les encadrer… sans éclater. »
  2. « On dit que nous serons remplacés peut-être après-demain. Les hommes s’en réjouissent, surtout parce que les bœufs et veaux qui erraient dans nos environs sont tous passés de vie à trépas et qu’ils considéraient comme déshonorant de manger du « singe. » Je ne crois pas que, pendant tout Dixmude, mes hommes en aient mangé plus de deux fois. On se débrouille ! Moi je serai content de pouvoir me déshabiller et me laver complètement ; je n’ai pu le faire depuis le départ du Grand Carbon, où j’avais escorté le convoi, le 15 octobre. » (Carnet du lieutenant de v. de M…)