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mitrailleuses belges de la route de Beerst remises en action, les tranchées organisées et renforcées d’un rang de tireurs dans les chemins de ronde pour répondre à l’éventualité d’une attaque combinée[1]. Mais, ni au Nord, ni au Sud, l’ennemi ne revint sérieusement à la charge[2]. Les compagnies Bérat, de Nanteuil, Baudry et Cantener, ou ce qui en restait, demeurèrent sur leurs nouvelles positions jusqu’à sept heures du soir et ne se résignèrent à les quitter que quand tout espoir d’une contre-offensive fut perdu. Quelque quinze cents mètres les séparaient de l’Yser : elles mirent cinq heures à les franchir, et il est vrai qu’elles emportaient leurs blessés et tout leur matériel. « Le ciel est couvert, écrit dans son journal le lieutenant de vaisseau Cantener, qui avait pris le commandement au titre de plus ancien en grade. Pas de lune. » Mais le lieutenant de vaisseau Bérat avait reconnu le terrain la veille ; puis une ferme rougeoyait dans l’Ouest, phare primitif comme ces bûchers qui brûlaient autrefois sur les caps pour guider les navigateurs. On marchait à la file, dans le plus grand silence, et les blessés eux-mêmes étouffaient leurs gémissemens. Enfin, les communications n’étaient pas complètement rompues, et la chance voulut qu’il restât sur l’Yser, à Toom, une dernière passerelle volante. Ainsi les circonstances, la connaissance des lieux, l’habileté du commandement, le sang-froid et la discipline des élémens, qui avaient pour consigne de ne répondre à aucun coup de fusil et de ne servir l’ennemi qu’à l’arme blanche, tout favorisa l’écoulement de cette longue colonne d’hommes manœuvrant dans l’obscurité, à travers un inextricable lacis de buissons, de poches d’eau et de clôtures barbelées. Un tiers seulement de l’effectif du secteur manquait à l’appel. Sur 850 hommes, le capitaine Cantener en ramenait dans nos lignes 480, tant valides que blessés. La brigade, qui les croyait détruits jusqu’au dernier, regardait avec stupeur défiler dans la nuit ces revenans. « À une heure et demie du matin,

  1. Journal de l’enseigne C… P… et Correspondance particulière : « Dévisse (officier des équip.) réussit à remettre en action les mitrailleuses abandonnées, que nous essayâmes ensuite de ramener dans nos lignes ; mais, à mi-chemin, les porteurs étant épuisés, nous dûmes les démonter et en jeter les diverses pièces dans des ruisseaux profonds d’où on ne les a sûrement pas repêchées. »
  2. « Pourquoi les Allemands ne nous chargent-ils pas ? C’est incompréhensible… Ils doivent nous croire bien pris et veulent sans doute se masser avant d’enlever nos tranchées. » (Journal du lieutenant de v. C. )