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VERS LA GLOIRE.


ainsi, ne pensant à rien, ne désirant rien, se laissant emporter par l’universel rythme des mondes? Il avait bien fumé une demi-douzaine de cigarettes, lorsque des voix lointaines, mais tumultueuses, arrivèrent jusqu’à lui, du faubourg des Lattes. Ces voix s’élevaient, de plus en plus fortes, de plus en plus tumultueuses. Bientôt il vit déboucher, comme un grand serpent aux anneaux flexibles, la farandole des étudians qui revenait vers la ville; des femmes s’y trouvaient mêlées, et leurs voix, plus aiguës, plus mordantes, dominaient celles des jeunes hommes. C’était un immense bruit indistinct, que coupait parfois un court silence; puis le chœur reprenait, formidable, le refrain dont Michel retrouvait maintenant toutes les paroles :

Palenostres et Oraisons

Sont pour ceux-là qui les retiennent ; Ung fifre allant en fenaisons

Est plus fort que deux qui en viennent... Le cortège, conduit par Gabriel d’Artissac, était tout près. Michel reconnaissait çà et là des visages : le noir Béhémond, l’Aragonais Pierre Brizuela, Albéric Gouvion, « futur membre de l’Académie de médecine; » Bernard Dureval, le socialiste; puis les « friches dames, » échevelées déjà, et rieuses comme des bacchantes; la grande Denise, la petite Esther, d’autres encore qu’il avait vues à la brasserie et qu’on lui avait vaguement nommées.

Un instant, il eut l’idée de se joindre à la bande délirante; l’élan de sa jeunesse l’emportait vers elle. Puis, soudain, il s’arrêta net. 11 ne se sentait pas à l’unisson.

— Bah! se dit-il. Qu’irais-je faire? Et il rentra se coucher, sagement.

Jean Bertheroy.i

(La deuxième partie au prochaiii^ Jiuméro.