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L’Etat est la substance de l’histoire. Ne l’imaginons pas comme un pacte, une création arbitraire des individus. De même que la nature, que l’Esprit, il est « nécessaire et divin. » Rationnel en soi et par soi, il domine les unités qui le composent et s’identifient avec lui comme il s’identifie avec elles. « Ses lois sont les droits de ses membres ; son sol, ses montagnes, sa lumière et ses eaux, leur patrie ; son histoire est leur histoire… Tous ses biens sont leur propriété, comme s’il les avait investis lui-même. Leur vouloir est son vouloir. Et c’est cette communauté qui est l’esprit d’un peuple. » Mais, en retour, c’est en tant qu’il participe à l’Etat que l’individu est capable de vérité, de moralité, de liberté ; car la liberté vraie, c’est-à-dire l’absence de toute limite, l’Etat seul la possède. Ainsi seront résolues les antinomies devant lesquelles s’était arrêté le moralisme de Kant. Plus de conflit entre l’individu et l’Etat. L’Etat représentant l’individu, étant le principe et la fin des activités particulières, l’obéissance de chacun est un devoir ; et il a un droit absolu sur tous ses membres. Plus d’opposition entre la politique et la morale. Vivre est la première fonction de l’Etat. Son existence sera donc « l’impératif qui sert de règle à ses actes. » Pour la défendre, pour l’étendre, il a la force. Il peut déclarer la guerre, « quand son intérêt est lésé ou menacé, quand il le juge en péril ; quand encore, par un long repos intérieur, il est poussé à sortir de lui-même et à agir au dehors. » Le succès justifie tout. Contre le peuple qui représente l’universel, « la volonté des autres peuples n’a point de droit. »

Synthèse grandiose, dont l’enchaînement devait séduire des esprits avides d’abstraction logique, et dont les conclusions allaient flatter l’orgueil d’une race infatuée de sa grandeur. Si l’histoire est un progrès, si le progrès ne se fait que par l’État, il viendra un peuple qui, après tous les autres, sera la réalité de l’absolu. Cette émanation dernière, la voici. — « L’Orient ne savait, et ne sait encore, qu’un seul est libre ; le monde grec et romain, que quelques-uns sont libres ; le monde germanique sait que tous sont libres. » Ce que l’Allemagne, dès le début de son histoire, va donner au monde, c’est donc l’idéal qu’il cherche.) En s’unissant au christianisme, elle libère l’esprit ; en régénérant la société antique, elle y répand la notion nouvelle de la personne. L’évolution continuée au Moyen Age s’accomplit dans