Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

immense qui fuit vers le Nord, laissera bientôt ses atterrissemens militaires ou religieux, tandis que, revenu vers la Gaule, il pénètre dans les replis de l’Ardenne ou les terres basses de l’Escaut. Vers le même temps, un autre courant se dessine. Le voici qui passe les Alpes, submerge l’Italie, et va battre les murs de Rome. Puis, par l’effet de son reflux, il remonte vers le Nord, vers les rives de la Baltique et la Scandinavie. De Riga à Rouen, de Drontheim à Londres, le commerçant continue l’œuvre du chevalier. Mais l’Allemagne se déplace toujours. Arrêtée alors par les États nouveaux qui l’enserrent, Pologne, Suède, Hollande, France, elle ne tarde pas à se remettre en marche. L’oscillation reprend, conquête des princes et non plus déplacement des peuples. Vers l’Est, c’est la Prusse élargie aux dépens de la Suède, puis de la Pologne, ou l’Autriche débordant sur la plaine hongroise et les Balkans. Vers l’Ouest, c’est enfin la poussée germanique qui fait reculer la France. Aujourd’hui, ces vieux horizons semblent trop étroits au nouvel Empire. Il voit, au-delà, ces contrées lointaines que le progrès économique lui permet d’atteindre. L’ « État national » se transforme en « État d’expansion. » Et c’est vers les deux mers, l’Atlantique, cette Méditerranée du monde moderne, le Pacifique, le rendez-vous des nouveaux mondes, que son peuple d’émigrans, de colons, de trafiquans, de marins est entraîné.

Quand un fait se répète avec cette insistance, prenons garde qu’il s’affirme comme une loi. Provoquées à la fois par l’excès de la population et l’élasticité mouvante des frontières, ces extensions successives sont la croissance naturelle de la race. Et voici qui achève de la définir. Antérieure au territoire, supérieure à l’individu, c’est elle, et elle seule, qui crée la nationalité. En conséquence, « l’Allemand en dehors de l’Allemagne reste Allemand. » Il emporte avec lui le droit de sa patrie attaché à sa personne, « à travers les montagnes, les vallées les fleuves et les mers… » Ce lien qui l’unit à la race, nul engagement ne peut le rompre. Quelque loi nouvelle qu’il adopte, il garde sa loi. Son effigie nationale est indélébile. Par suite, encore, en quelque, territoire qu’elle soit contenue, la « patrie allemande » n’est point enchaînée à son sol, ni serve de ses limites. Elle ne se mesure pas à un pays, étant l’universalité de ses fils. Ainsi, partout où, dans le passé, la