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C’est sur le point incriminé que se manifestèrent les premiers troubles cérébraux du Prince, et ce fut la bonne Marie Leczinska qui, bien involontairement, les provoqua. Dans le courant de 1742, comme il était en visite, seul avec elle, tout à coup le Duc d’Orléans se jeta à genoux et fit à haute voix un acte de contrition.

La Reine, d’abord stupéfaite, le fut encore bien davantage quand elle entendit l’aveu que cette contrition soudaine s’appliquait a des « pensées immondes » que le Prince venait d’avoir. Le mot, pour dur, n’en sonna pas moins doucement à ses oreilles inaccoutumées de pareils complimens. Même, l’aventure lui sembla trop flatteuse pour demeurer secrète ; tous ses amis en reçurent la confidence. Il n’apparaît pas non plus, qu’à la réflexion, cet incident eût nui, dans son esprit, à Louis d’Orléans. « Ah ! disait-elle, si je l’avais épousé, — il en avait autrefois été question, — nous mènerions une si jolie vie ! » Et elle se hâtait d’expliquer : « Pendant que mon époux serait à Sainte-Geneviève, moi je serais aux Carmélites… »

D’ailleurs, l’hypothèse simpliste du chancelier d’Argenson se trouve assez bien soutenue par ce que rapporte, sur les premières ardeurs du Prince, M. de Clermont, son premier écuyer : Dans sa jeunesse, « il vouloit tâter de toutes les filles… il vouloit se mettre à la tête des hussards et faire une guerre de carabin[1] ; il vouloit chasser comme un loup ; puis, s’étant adonné à la dévotion, il a voulu prendre le rôle d’un Père de l’Eglise et d’un anachorète. De tout cela, conclut d’Argenson, qui force un peu la note, il résulte qu’il est fou et qu’il est très difficile de le rendre sage. »

Bientôt ses excentricités inquiétèrent son entourage, au point que l’un de ses valets de chambre crut devoir prévenir le chancelier qu’il était à craindre que le Prince ne donnât bientôt publiquement des signes de folie.

Cependant, en même temps, il parlait à d’Argenson « avec plus de justesse et d’élévation que jamais[2]… montrant en tout de la sagesse et de la force, » pour, le lendemain, retomber dans ses divagations : un jour, il déclara à l’abbé Omelane,

  1. Partisan.
  2. Amédée Pichot, dans son Histoire de Charles-Edouard, cite de lui une fort belle lettre au ministre Maurepas. Est-il besoin de dire que le Prince était ardemment jacobite ?