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D’autre part, si l’on considère cette névrose comme un écho de la folie des Mortemart, il s’agirait alors d’une hérédité, non pas homologue, mais collatérale, car, chez Louis d’Orléans, cette démence n’est pas, à proprement parler, transmise sous sa forme pathologique initiale, mais sous celle de psychoses variées. C’est un fait fréquent dans l’histoire de l’hérédité nerveuse.

Ces constatations d’ordre scientifique ne sont pas les seules à dégager des souvenirs du fils du Régent : l’enfant qui, de Versailles, entendit tonner le canon ennemi, — comme l’entendirent aussi les enfans que nous fûmes, — en conserva l’écho dans son âme. Jamais la vision de la France envahie ne s’effaça de sa mémoire ; aussi l’amour et le salut de son pays dominèrent-ils, chez le Prince, toute autre considération.

Que Louis d’Orléans ait, sur toutes choses, aimé la France, n’est pas pour étonner ; mais un autre sentiment qu’il laissa souvent percer, ne laisse pas de surprendre, si l’on songe à l’atmosphère de libertinage qu’il respirait. Cette âme candide garda une véritable rancune à ceux qui, « de dessein délibéré, » avaient taché sa robe d’innocence. Argenson rapporte ce propos du Prince parlant d’un marquis de Crécy qui avait appartenu à sa maison :

« — J’ai à cet homme-là une obligation particulière.

« — Et de quoi, Monseigneur ?

« — C’est, dit-il, de m’avoir fait perdre mon… »

Je lui ai répondu : « — Monseigneur, dans la cour des princes, d’honnêtes gens se mêlent de ce métier-là. »

« — Je vous dis cela pour vous marquer que ce n’est qu’un vieux pécheur, un vieux débauché.

« — Au moins, était-elle jolie ?

« — Monsieur, m’a-t-il dit en se renfrognant, qu’avez-vous encore dans votre portefeuille ? Passons à d’autres choses. ».

Maurepas, dans ses Mémoires, prétend que ce fut le Régent lui-même qui chargea plusieurs femmes très connues de compléter l’éducation de son fils.

Cette bonne grand’mère Palatine, qui s’attendrissait sur l’esprit de l’enfant, prit la chose au tragique et, en grand émoi, raconta l’événement à sa sœur Louise :

« Ce que je craignois au sujet de mon petit-fils est justement arrivé : Il est… tombé dans les mains des filles de l’Opéra ; vous pouvez facilement imaginer ce qu’elles lui ont appris. Il