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Les beaux visages de femmes me faisoient, dès lors, une impression singulière. On ne songeoit point à la réduire, au contraire, on s’en amusoit. En 1712, M. de Court me faisoit faire des bouquets pour Mlle de la Lande, fille d’une sous-gouvernante de M. le Dauphin, aujourd’huy Roy. Le plaisir de la voir, de luy présenter mes petits bouquets, m’occupoit comme si j’en avois été réellement amoureux.

Lorsque j’avois bien étudié, l’abbé Montgault, pour récompense, employoit la dernière demie heure d’estude à me faire lire ou me lire luy même d’une tragédie. J’en estois touché comme un homme qui a éprouvé les passions qui y sont représentées. Je pleurai tellement à la lecture de Phèdre, qu’on la cessa avant le temps de peur que l’abondance des larmes ne fist mal à ma santé. Tout cela est d’avant la mort de Louis XIV, par conséquent je n’avois pas douze ans faits. Mon corps n’a commencé à s’échauffer pour le libertinage qu’après qu’on m’en a appris des ordures, de dessein délibéré, ce qui n’a commencé qu’en 1719.

En 1715, on commença à me faire monter à cheval sur un petit bidet. Après qu’il fut acheté et dressé, ma mère décida que je ne commencerois à monter à cheval qu’après que M. de Court seroit revenu des eaux de Bourbon où il alla cette année là pour un rhumatisme et des hémorroïdes qui l’incommodoient beaucoup. Après cette décision, on m’amena l’animal tout scellé, tout bridé, a l’Estoille où estoit ma mère. Elle me dit : « — Si vous voulez monter dessus tout à l’heure et faire le tour d’un tel espace, qu’elle indiqua qui estoit très petit, j’y consens par grâce singulière. » Je dis : « — Pour une fois, comme cela est sans conséquence, cela n’en vaut pas la peine, et j’aime autant attendre que je commence pour apprendre de suite. »

Cependant M. de Court partit, son voyage fut, je crois, de six semaines et, à son retour, je commençai à monter à cheval. Je n’avois encore pris que peu de leçons lorsque le Roy fit la revue de son régiment. Ma mère m’y mena dans une calèche avec elle. Là elle me reprocha que je n’avois pas assez d’ardeur pour les choses qui sentoient le grand garçon. « — Un autre, me dit elle, en auroit accepté la proposition que je vous fis à l’Estoille de monter à cheval. Vous ne vous en estes point soucié, si vous l’aviez accepté, cela auroit continué ensuite, voyez combien d’avance cela vous donneroit aujourd’huy. » Je répondis :