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fiancées. Sous le bonnet tuyauté, ou le feutre gris saupoudré de farine, ils avaient le même teint vif et frais, des yeux rieurs où flambait de la malice, deux bouches luisantes et sensuelles toujours pleines de gouailleries et de gaudrioles. Ils étaient les survivans d’une époque où les moulins abritaient les buveurs villageois et les réunions, galantes. De fait, on entrait encore chez eux comme au cabaret, et la meunière ne rechignait pas trop à cuisiner des fritures et des omelettes, qu’on arrosait du petit vin des côtes.

En face de chez eux, de l’autre côté de la route, se tassait une masure, qui, pour moi, était le type de la chaumière des livres d’images, bien qu’elle fût couverte non pas de chaume, mais de tuiles rouges bien moussues. Dans un recoin de cette masure, les pêcheurs déposaient leurs engins, balances, nasses et verveux, qui étaient confiés à la garde de la propriétaire, une vieille femme édentée et d’humeur folâtre, qu’on appelait toujours Jeannette, comme à quinze ans. Elle avait dû connaître, celle-là, les beaux jours du moulin, et sans doute aussi, en son jeune temps, elle n’avait pas boudé le plaisir. Un reste de suspicion planait toujours sur sa maisonnette écartée et un peu mystérieuse. Il lui en était demeuré beaucoup de gaité et d’indulgence. Elle aimait les enfans, surveillait nos ébats, supportait nos sottises avec une patience quasi maternelle. Nous nous plaisions chez elle. Pour ma part, j’admirais fort, dans sa cuisine, une antique crédence, où s’alignaient des assiettes toutes peinturlurées de roses et d’œillets rouges et surtout une horloge au cadran historié, dont nous nous amusions à détraquer les poids.

On faisait une foule de découvertes dans cette cuisine, au sol recouvert de terre battue, aux recoins pleins d’ombre, et d’ailleurs mal éclairée par une fenêtre en guillotine. Le long des solives pendaient toujours quelques têtes de maïs, dont les petits grains jaunes nous intriguaient beaucoup. Le maïs est rare en Lorraine, où on l’appelle blé de Turquie. Ce nom seul m’émerveillait. Dans le fond, enveloppé d’une pénombre majestueuse, s’élevait un lit de parade, où l’on ne couchait jamais, et dont les « plumons » entassés montaient jusqu’aux poutres du grenier. Enfin, près du seuil, dans un angle de la pierre à évier, il y avait un seau de bois verdi de moisissures, où l’on puisait, avec un gobelet, une eau glacée, délicieuse à boire, en été.