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n’est-il pas vrai ? un aveu qu’il n’est pas inutile de recueillir.

Nous ne suivrons pas maintenant l’auteur de J’accuse ! dans ses considérations finales qui tiennent de la prophétie, ou de la rêverie. S’il ne croit pas à la victoire allemande, que « la brillante stratégie de Joffre, le Moltke français, » a rendue impossible, il ne croit pas davantage au triomphe des Alliés, et il s’accommoderait volontiers d’une sorte de paix blanche qui laisserait toutes choses en l’état. Il rêve aussi pour l’avenir d’une « alliance pacifique des peuples libres. » Mais comme il se rend fort bien compte qu’un pareil accord est impossible avec un État qui, comme l’Allemagne, « viole ses engagemens » et qui, d’ailleurs, « au point de vue politique, n’a pas dépassé le niveau des hommes des bois, » il appelle de ses vœux, pour son pays, une réforme politique qui lui permette de prendre sa place dans le chœur de « l’humanité civilisée. » Et c’est, peut-être à son insu, pour hâter cette réforme, qu’il a cru devoir charger le gouvernement allemand de tous les « crimes » de l’Allemagne ; et c’est, en tout cas, pour la précipiter, qu’il a écrit son livre. Hélas ! il nous faudra bien des livres comme celui-ci pour nous prouver que l’Allemagne n’a jamais cessé d’être une nation sensée et pacifique.

En attendant, la brochure de M. Emile Prüm et le livre J’accuse ! constituent, chacun dans son genre, un formidable réquisitoire contre l’Allemagne, un réquisitoire dont les auteurs ne sauraient être accusés de prévention pour la cause adverse, et un réquisitoire tel qu’on n’en saurait même concevoir un semblable dirigé contre l’un quelconque des Alliés. Voit-on M. Prûm formulant d’aussi graves accusations, fût-ce même contre la France anticléricale, qu’il n’aime pourtant guère ? Et voit-on surtout un Français, un Russe, un Anglais ou un Italien écrivant le livre J’accuse ! contre le gouvernement de son pays ? Et, s’il en est ainsi, Russes, Anglais, Italiens et Français ont le droit de dire aux autres peuples, spectateurs impartiaux et neutres de la grande lutte qui met aux prises deux civilisations différentes, ou plutôt la civilisation même et « la grande Barbarie : » « Comparez, jugez, et choisissez. »,


VICTOR GIRAUD.