Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/925

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peuple, Guillaume II s’est laissé convaincre qu’il n’avait qu’à le vouloir pour obtenir l’empire du monde. En déchaînant la guerre, il a libéré tous les vieux instincts de sa race qui sommeillaient chez les uns et qui, chez les autres, se traduisaient en formules âprement impérialistes. Il n’aurait point brusquement réalisé l’unanimité de 70 millions d’hommes, si cette guerre de proie n’avait pas répondu aux aspirations héréditaires de tout un peuple.

Ces tristes constatations, on ne peut demander à un Allemand de les faire, eût-il même la liberté d’esprit dont témoigne l’auteur de J’accuse ! Pour leur donner d’ailleurs tout leur poids, il aurait fallu insister longuement sur la manière dont l’Allemagne a conçu et pratiqué la guerre qu’elle avait allumée. L’écrivain allemand en a-t-il eu obscurément conscience ? A-t-il senti que, s’il descendait au détail des faits et des pratiques de guerre, il serait amené à aggraver le cas de ses compatriotes, à rendre plus lourdes leurs responsabilités collectives, et, par une sorte de pudeur patriotique bien excusable, a-t-il voulu abréger son réquisitoire ? Le fait est qu’après avoir longuement parlé du « crime » allemand et des « antécédens du crime, » il passe très rapidement sur « les conséquences de l’acte, » à savoir sur la guerre elle-même. Il a sans doute reculé devant le dénombrement des innombrables violations du droit des gens dont l’Allemagne officielle et le peuple allemand se sont rendus coupables depuis quinze mois ; il lui en eût coûté d’avouer que son pays s’est déshonoré par une série d’actes qui nous reportent à la barbarie primitive. Mais toute sa discrétion ne l’empêche pas de citer et de commenter tristement un article du Jauers’che Tageblatt où, sous le titre de : Un jour d’honneur pour notre régiment, 24 septembre 1914, un sous-lieutenant raconte les effroyables traitemens que ses soldats ont infligés aux blessés français. Il s’indigne que ces hauts faits, qui ont eu l’approbation admirative du prince Oscar de Prusse, soient célébrés « comme des actes héroïques louables » et soient « reproduits à la place d’honneur dans la feuille du district. » Et il ajoute : « Il est possible qu’on ait commis des brutalités dans l’autre camp : lorsque la brute est déchaînée dans l’homme, il ne faut pas s’étonner des brutalités qu’il commet ; mais j’ai vainement cherché dans la presse étrangère la publication d’ « exploits » héroïques comme ceux-là…) » Voilà,