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la « Kultur » voisine. Quelques précautions que prissent ses nouveaux maîtres, ils ne purent lui cacher entièrement ce qui se passait en Belgique et en France. Il connut, par expérience et par ouï-dire, les délices de l’occupation et de la guerre allemandes. M. Emile Prüm vit, observa, s’informa, compara : il fut vite désabusé. Sa haute conscience de catholique s’indigna, se révolta contre les enseignemens de l’Evangile selon Bernhardi et von der Goltz. Comme il est bien naturel, il éprouva le besoin de donner publiquement les raisons de sa révolte et de sa déconvenue. Et il les donna dans une « lettre ouverte » qui, publiée d’abord dans deux journaux luxembourgeois de langue allemande, au mois de mars dernier, fut, peu après, éditée séparément sous forme de brochure…

Mais l’Allemagne veillait. A sa requête officieuse, la police luxembourgeoise s’empressa de saisir la brochure de M. Prüm. De plus, tandis que le destinataire de la lettre intentait à son auteur un procès « pour injures, » le gouvernement luxembourgeois intentait au même M. Prüm une autre action judiciaire, sous prétexte que sa « lettre ouverte » « exposait l’Etat à des hostilités de la part d’une Puissance étrangère. » M. Prüm s’est défendu avec vigueur et habileté devant le juge d’instruction de Diekirch. Nous ne savons trop comment s’est terminée cette odieuse et ridicule « querelle d’Allemand. » Les Luxembourgeois auront d’intéressans souvenirs à nous conter après la guerre.

Revenons à l’opuscule de M. Prüm. Il était intitulé : la Conduite allemande des hostilités en Belgique et les instructions de Benoît XV, Lettre ouverte à M. M. Erzberger, député au Reichstag. Ce Mathias Erzberger, dont l’abbé Wetterlé, qui le connaît trop bien, a tracé dans la France de demain un vigoureux et vivant portrait, est cet ancien instituteur wurtembergeois qui, entré au Reichstag en 1903, ambitieux, remuant, laborieux d’ailleurs et intelligent, mais vénal et sans grands scrupules, est devenu assez vite une manière de personnage, et le porte-parole du parti du Centre. C’est lui que Guillaume II, il y a quelques mois, a délégué à Rome, pour y renforcer, dans les milieux catholiques, l’action coûteusement inutile du prince de Bülow : le Kaiser, comme chacun sait, aujourd’hui, a « ses » catholiques, comme il a « ses » socialistes, et les héritiers de Windthorst n’ont plus rien à lui refuser. Peut-être aurait-il pu mieux choisir que « ce gros garçon trapu, large d’épaules et