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compagnie par un chef qui sait la comprendre et la manier. On a beaucoup écrit sur le rôle de l’officier. En dépit des pages et des phrases prodiguées, souvent très belles, souvent très justes, l’ensemble du public ne lui accordait qu’une médiocre attention. Les circonstances actuelles le placent en relief devant les plus aveugles. En réalité, il n’existe peut-être pas de rôle plus passionnant ni plus haut. Le rôle de l’officier colonial qui apporte le génie de sa race, qui l’associe au génie d’une autre race, — génie tout particulièrement aiguisé quand il s’agit de la race jaune, — et obtient un concours en vue d’un idéal supérieur, apparaît magnifique entre tous. On ne saurait trop le célébrer, l’analyser. C’est le but, c’est la leçon de livres tels que Hiên le Maboul, leçon qu’il ne faut se lasser de répéter, de mettre en lumière. Quelles pages plus émouvantes que celles du retour de l’Aïeul parmi ses tirailleurs ou encore celles des souhaits le jour du Têt (Nouvel an chinois) ! Et l’ « Aïeul a deux galons » se dit que « dans ces Annamites, prétendus fourbes et paresseux, il a rencontré de merveilleux ouvriers, gais, alertes, actifs, dont l’entrain imperturbable l’a réconforté dans les minutes de découragement. Il se rappelle les pages amères que des écrivains ont consacrées à cette race perfide, abritée derrière l’éternelle ironie et l’éternel sourire de ses yeux bridés, incapable de dévouement et d’attachement. Il est fixé là-dessus désormais… Ce qu’ils font aujourd’hui pour lui, ne le feront-ils pas demain, avec le même courage, pour son remplaçant, pourvu que celui-ci soit bon et juste ? »


Hiên le Maboul est un roman très fin, très profond, qui analyse le tirailleur exotique enrôlé sous notre drapeau. La Barque annamite est un autre roman qui se propose une étude plus ample : celle du peuple annamite sous le protectorat français. Le titre primitif de l’ouvrage était les Aïeux et les Vivans. Il exprimait le sentiment complexe de ces populations travaillées tout ensemble par le culte de leurs traditions et le spectacle de la civilisation occidentale nouvellement importée parmi elles. Neuâ, vieillard à l’esprit meublé de légendes, fervent observateur des rites, modèle de ferveur familiale, n’est occupé qu’à se concilier les bonnes grâces des Génies invisibles qui, d’après sa croyance, entourent, surveillent chacun des