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impressions, la netteté quasi photographique des paysages, les grâces d’un style toujours harmonieux, à la fois original et simple. » Il nous promettait aussi Heures khmères, pages de Nolly demeurées jusqu’ici inédites. M. Rivoire annonçait qu’elles seraient quelque jour « un régal de lettrés et de délicats. » Espérons que ce jour ne tardera plus désormais.

Pour nous en tenir à Biên le Maboul, rien ne saurait mieux exprimer les séduisantes qualités de forme de ce roman que le jugement de son premier parrain littéraire.

Hiên le Maboul est un simple soldat de la 11e compagnie du 1er régiment de tirailleurs annamites. Bûcheron arraché par le service militaire a son village de Phuôc-Tinh, né à la lisière de la grande forêt d’Annam, son enfance n’a connu d’autres horizons, d’autres travaux, d’autres plaisirs que ceux de la forêt où il coupait des bambous. Son oreille en perçoit, en différencie les mille rumeurs confuses : aboiemens furtifs et contenus du tigre en chasse que de moins exercés que Hiên prendraient pour ceux d’un chien ; bramement des cerfs arrêtés auprès des mares lointaines ; cris des singes se poursuivant dans les ramures ; chants des coqs sauvages ; froissemens produits par les panthères qui rampent dans l’herbe, par les faisans, les paons qui se lèvent et se perdent sous le dôme impénétrable des feuilles. Son œil n’a pas de peine à discerner les prunelles vertes d’un python collé à une branche et identique à elle. Hiên sait les plantes, les arbres, les essences utiles, précieuses, les sucs nuisibles ou bienfaisans. les bêtes de la brousse et des eaux. Mais il ignore les hommes, les femmes, la civilisation. L’approche des humains, des Européens surtout, le frappe de terreur, paralyse ses facultés. « A vingt ans, il se présente comme une sorte de géant maigre, aux yeux égarés, à la chevelure inculte, aux gestes maladroits, et l’opinion se confirmait qu’il était fou : Hiên le Maboul. » Que va devenir Hiên le Maboul au 1er régiment de tirailleurs annamites ? Il y sera d’abord extrêmement malheureux. Empêtré dans son équipement, dans son uniforme, sourd à une langue qu’il ne comprend pas, transporté dans un monde effarant et mystérieux, il dépérit. Pétrifié par la crainte, il prend le parti de devenir complètement inerte, passif, d’autant plus qu’il est brutalisé par l’adjudant Pietro. Celui-ci ne voit, en effet, dans les indigènes « que des singes à mater. » Pour comble de misère,