Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/879

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il s’exerce au mépris de son voisin, il est immodéré dans le plaisir, il est gaspilleur et agressif. Il se moque des grands hommes du passé, de Schiller même. Il parodie le monologue de sa Jeanne d’Arc : « Les adieux au verger paternel » dans un pamphlet qui le libère, pense-t-il, définitivement du genre noble de ce temps. Ayant enfin choisi sa carrière, il entre comme étudiant à l’École des mines de Freiberg, non loin de Dresde, dans la Suisse saxonne. Là il mène la vie ordinaire des universitaires, tire des bordées et imagine des bonnes fortunes qu’il n’a pas vécues. Le goût du travail s’effaçait graduellement chez lui. On s’en préoccupait dans la maison si probe et déjà si déçue lorsque, dans le courant de l’été 1808, l’armée française prit de nouveau, en alliée, possession de la ville. La municipalité recommandait aux habitans avec la plus grande insistance de recevoir les Français non pas avec froideur, mais comme des frères. La population s’acquitta de cette mission avec tout son zèle et Christian Körner, inquiet et violemment projeté hors de son rêve étoilé et de sa sérénité de musique de chambre, souffrait moralement des temps nouveaux, tout en détestant un courant d’esprit que la Prusse cherchait à propager, qui fomentait déjà et qui tendait à exalter exclusivement la guerre et la haine.

À ce moment en effet, le duché, envahi partout, était terrorisé par l’arrivée de deux corps francs, qui furent en quelque sorte les ancêtres des Hussards de la Mort de la guerre actuelle, bien qu’ils existassent déjà sous une forme moins dangereuse au temps de Frédéric II. Mais leur hardiesse, leur méconnaissance des lois de guerre, leur sauvagerie légendaire les désignent bien comme les dignes précurseurs de ces troupes de cavalerie qui, en une pénétration foudroyante, devaient semer l’effroi et la ruine dans la Belgique de 1914. Le plus tristement célèbre fut le Corps noir de la Vengeance du major von Schill. Christian Körner avait horreur du furieux esprit de parti qui détraquait les cerveaux faibles et redoutait de terribles excès de cet incendiaire et de ses bandes déchaînées. Bientôt elles firent leur entrée à Dresde, suivies par l’armée autrichienne qui, elle aussi, entendait être reçue en amie et ménageait la ville avec le dessein de la mater en douceur. L’approche du roi Jérôme chassa les Autrichiens qui fuyaient toujours et revenaient sans cesse.

Etouffant dans le petit cadre de son existence, Théodore se