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conduire déjà comme si son père était mort et le kronprinz ayant répliqué avec insolence, elle l’aurait menacé « de le faire interner à Custrin. »

— Faites, ma mère, aurait-il répondu ; mais, dès que je serai le maître, je vous embarquerai pour l’Angleterre.

Dans ces paroles, on devine l’inspiration des Bismarck. Peut-être le chancelier avait-il rappelé au prince Guillaume qu’un siècle plutôt, la princesse Louise-Ulrique de Prusse, sœur de Frédéric II et reine de Suède, s’était vue, après la mort de son mari, éloignée de Stockholm par son fils Gustave III devenu le maître et qu’antérieurement, Louis XIII avait agi de même envers sa mère, Marie de Médicis. Guillaume II ne serait donc pas le premier souverain qui aurait mis fin par un ordre d’exil à des difficultés suscitées contre lui dans sa propre famille. D’ailleurs, dans la maison de Hohenzollern, on en avait vu bien d’autres et les drames d’intérieur n’étaient pas chose nouvelle. Seulement ; dans celui que nous racontons, c’est l’ambition du chancelier qu’on trouve comme mobile. On peut sans craindre de se tromper lui attribuer la responsabilité de tout ce que le futur empereur fait de répréhensible. Si ce n’est pas lui qui en est l’instigateur, c’est son fils Herbert qu’il ne désavoue pas. Le père et le fils sont d’accord pour enguirlander Guillaume, pour encourager ses velléités belliqueuses. Sans doute le chancelier se promet de mettre plus tard le holà à une politique d’aventure. Mais, pour le moment, il ne songe qu’à flatter son disciple, car, ce qui lui importe avant tout, c’est de se maintenir dans sa confiance afin de consolider inébranlablement son propre pouvoir. Il feint de lui céder en tout et pour tout, même lorsque, dans son for intérieur, il ne l’approuve pas. Il veut le mettre dans l’impossibilité de se passer de lui, quitte, lorsqu’il sera son ministre, à lui résister au nom de la raison d’État.

Les preuves sont nombreuses de ces calculs ténébreux. Lorsque, au mois de mai, il montre les dents à la France et à la Russie en faisant, contre toute vraisemblance, courir des bruits de guerre, il joue une comédie que cependant certaines gens prennent au sérieux. Hohenlohe écrit dans son Journal : « Bismarck veut à tout prix conserver ses fonctions sous le règne du kronprinz actuel. Il lui avait déclaré, il y a quelques mois, qu’il lui offrait ses services, à condition qu’il ne veuille pas