Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/820

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’asseoir dans son cabinet de travail dont les croisées s’ouvrent sur un parc, qu’en cette année 1888, et bien qu’on soit au mois de mars, l’hiver finissant laisse encore couvert de neige-Parfois, un rayon de soleil brille sur cette blancheur. Mais plus souvent, les brumes des ciels du Nord l’assombrissent et privent le malade de l’air du dehors. D’ailleurs, il le redoute ; c’est en vain qu’on l’excite à aller le respirer quand la température se radoucit.

C’est dans ce cabinet qu’il reçoit ses ministres et les personnes à qui il accorde audience. Presque toujours, l’Impératrice est présente ; elle s’en excuse en alléguant la nécessité de soutenir la conversation. Si elle peut échanger un mot avec le visiteur, elle demande, anxieuse, comment il trouve son mari. Quant à lui, c’est à peine s’il parle. Ce qu’il veut dire, il l’écrit sur une ardoise ; ou encore il approuve d’un signe de tête. Lui exprime-t-on les vœux qu’on forme pour le rétablissement de sa santé, il sourit mélancoliquement comme s’il était certain qu’elle ne petit se rétablir. Le 24 mars, le prince de Hohenlohe, après une visite à Charlottenbourg, écrit qu’en voyant l’Empereur, il a dû faire effort pour refouler ses larmes : « Il me faisait l’effet d’un martyr. En réalité, il n’y a pas au monde de martyre comparable à cette mort lente. Tous ceux qui l’approchent sont pénétrés d’admiration devant cette courageuse et muette soumission à l’inévitable destin qu’il prévoit d’ailleurs clairement. Je l’ai vu hier probablement pour la dernière fois. »

Cette situation tragique, le spectacle de cette lente agonie auraient dû, semble-t-il, désarmer le prince de Bismarck. Mais, loin de désarmer, il devenait de plus en plus agressif. Les diplomates étrangers accrédités à Berlin mentionnaient dans les rapports qu’ils adressaient à leur gouvernement que la campagne du chancelier contre l’impératrice Victoria devenait de jour en jour plus acharnée et plus implacable. Il se plaignait, à tout propos et sans raison d’ailleurs, de l’intervention de « l’Anglaise » dans les affaires de l’Etat. Ses plaintes formulées devant des tiers étaient reprises par les journaux à ses gages. Ils en venaient aux invectives dans des articles calomnieux où étaient exposés les prétendus périls auxquels « une politique de femme » exposait les intérêts de l’Allemagne. L’Empereur lui-même, indirectement accusé de subir l’influence de