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rancune, des souvenirs vieux de quinze et vingt ans, il ne les dénaturait pas ? Comment, par exemple, ajouter foi à ses insinuations lorsqu’il laisse entendre que, pendant la guerre franco-allemande, Frédéric livrait à l’Angleterre, par l’intermédiaire de sa femme, les secrets militaires et politiques de la Prusse ? Ce soupçon si gravement injurieux n’est-il pas en contradiction avec les sentimens exprimés par le kronprinz dans son Journal ? Ne s’y révèle-t-il pas libéral et tolérant, ardent patriote, incapable d’une trahison aussi noire que celle dont Bismarck semble l’accuser ?

Dans le fragment de ce Journal que nous avons cité plus haut, Frédéric nous est apparu animé d’une tendre sollicitude pour son fils, désireux de l’élever dans les voies de la modération et de la justice et d’être pour lui un ami fidèle et un conseiller sage et sûr. Il n’est pas moins digne d’éloges quand il expose les principes dont il s’inspirera pour gouverner ses peuples.

« Je doute, écrit-il alors, que la loyauté nécessaire au libre développement de l’Empire existe et je crois qu’elle ne se verra qu’à l’heure nouvelle que fera surgir mon avènement. Je serai véritablement le premier prince qui paraîtra devant son peuple après s’être honorablement et sans réserve déclaré pour le régime constitutionnel. »

À ces idées contraires à la politique du chancelier et dont celui-ci s’irritait quand le kronprinz les exprimait devant son père, trop complètement Hohenzollern pour y voir autre chose qu’une atteinte à l’autorité souveraine, l’empereur Frédéric était resté fidèle. On l’aurait vu les mettre en pratique si la maladie n’avait paralysé ses intentions et ne l’eût condamné à laisser ses ministres gouverner librement en son nom. Mais quand il monte sur le trône, il est déjà mourant. Pour la première fois, on va voir un monarque prussien régner sans gouverner. Quinze jours après son avènement, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Son existence ne semble se prolonger que grâce aux soins attentifs et vigilans dont l’entoure la tendresse de sa femme.

Intrépide et malgré tout confiante, ne voulant pas se rendre à l’évidence, elle le défend contre la mort. A Charlottenbourg où ils sont installés, leur vie s’écoule comme dans une chambre de malade. L’Empereur ne quitte la sienne que pour aller