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« En chevauchant durant les grandes manœuvres à travers les plaines du Brandebourg, j’ai compris à la vue denses champs florissans, de ses industries en pleine activité, où était la véritable base du bien-être du peuple et du travail fécond. Je vois bien que le grand public, et plus spécialement celui de l’étranger, m’impute des idées guerrières faites de légèreté et d’amour de la gloire. Dieu me préserve de cette légèreté criminelle ! Je repousse ces accusations avec indignation. » Voilà l’hymne à la paix ; mais voici tout aussitôt le correctif, c’est-à-dire le geste théâtral de la main gantée de fer : « Pourtant, messieurs, je suis soldat et tous les Brandebourgeois sont soldats, je le sais. C’est pourquoi, laissez-moi terminer par ce mot que, le 6 février, notre grand chancelier a jeté au parlement qui, ce jour-là, a offert la grande image d’une représentation populaire, marchant la main dans la main avec le gouvernement et j’appliquerai plus spécialement au Brandebourg ces vigoureuses paroles : Nous, Brandebourgeois, ne craignons que Dieu et rien que Dieu au monde. »

Inutile et inopportune, puisque la paix n’était pas menacée, cette bravade avait été inspirée par Bismarck. Il s’évertuait alors à faire savoir que l’Allemagne, quel que fût son empereur et bien qu’elle ne voulût pas la guerre, resterait sur le qui-vive, toujours en armes, prête à écraser ses ennemis. Il daignait reconnaître qu’en France, par suite de l’élection de Sadi Carnot à la présidence de la République, gage de paix pour l’Europe, la situation était devenue « moins explosive » que l’année précédente ; il se montrait plein de confiance dans la parole de l’empereur de Russie, qui avait affirmé ne pas vouloir la guerre, encore qu’on l’eût vu récemment, dans un diner de fiançailles, se lever, son verre à la main, et boire à la santé du prince Nicolas de Monténégro, « le seul allié sincère et fidèle que comptât la Russie parmi les souverains de l’Europe. »

— Mais, observait le chancelier, dans ses entretiens avec les membres du corps diplomatique, les excitations de la presse radicale en France, et les membres du parti panslaviste en Russie exigent que l’Allemagne soit prête à toutes les éventualités. Si la France nous déclarait la guerre, la Russie sans doute ne s’en mêlerait pas. A l’inverse, la France se joindrait certainement à une attaque de la Russie. La force de l’Allemagne est donc la meilleure garantie du maintien de la paix.