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y a aussi les bruits qui courent : dédaignons-les, car il ne mentent pas toujours et l’on n’est point assuré d’attraper rien de vrai, en prenant le contre-pied de ce qu’ils annoncent. Il y a les renseignemens diplomatiques. L’information ne manque pas, certes ; mais il s’agit de ne pas s’égarer dans une telle abondance. D’abord, il s’agit de savoir lire et non de ne pas lire entre les lignes : qui pourrait s’y résoudre ? du moins, il importe de lire entre les lignes sans folie, sans la fureur de se bouleverser ou de se créer des chimères trop aguichantes. Il importe de comprendre ; et ce n’est jamais si facile : comment faire, si nous avons l’esprit tout alarmé ?

Comprendre ! Polybe s’est promis de nous y aider. Premièrement pour nous secourir, il sait la géographie : il la savait avant la guerre ! Les noms de villes et de rivières de la Pologne, de la Galicie et même de la Bukovine ne le troublent pas. Et, les noms, ce n’est rien ; mais il sait l’importance militaire d’une petite localité. Les communiqués ont de la précision, quelquefois : ils n’ont pas beaucoup de relief et, rapides, ils mettent quasi tout sur le même plan. Notre Polybe est le maître de la perspective ; il éloigne ceci, approche cela et substitue à l’énumération sèche ou à l’inventaire des menus faits quotidiens leur ressemblance : un communiqué assez plat, il vous le montre dans le stéréoscope. Il sait l’histoire ; il a tout lu. Il a étudié toutes les guerres, celles de l’antiquité, celles des temps modernes, depuis la guerre de Troie jusqu’à la guerre des Balkans. L’expédition des Dardanelles ne le prend pas au dépourvu : — le prince des Cretois Idoménée disait à Mérionis… Quand les armées belges se retirent dans le camp retranché d’Anvers, ne vous effrayez pas : Hérodote raconte que la Pythie de Delphes conseilla une manœuvre de ce genre aux Athéniens lors de l’invasion des barbares. La bataille des Thermopyles éclaire, le 8 août, la bataille de Liège ; et la bataille d’Alésia explique, au mois de novembre, la bataille de l’Aisne. Au mois de janvier, lorsque les profanes guettent la « décision, » la déclarent lente à venir et, de leurs vœux, hâtent le général en chef, Polybe leur traduit un chapitre de Tite-Live où, dans sa troisième Décade, ce Latin vante Fabius, dit le Temporiseur. Et, pour les gens pressés encore, au neuvième mois de la guerre, Polybe consulte le maréchal de Saxe, lequel, après Fontenoy, disait : « Je sais que tel bon bourgeois de Paris, logé entre son rôtisseur et son boulanger, s’étonne que je ne fasse pas faire dix lieues par jour à mon armée ! » Les avertissemens les plus vifs, Polybe les emprunte à Napoléon. La prodigieuse variété des guerres impériales fournit des réponses à tous les