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n’y en avait plus, s’il y en a, — mais dans tous les milieux, Un chagrin ; qui ne l’a senti ? et l’on s’y connaissait alors, en fait de chagrin. Les gens les plus divers, les malins et les naïfs, les plus résistans et les plus dolentes, éprouvèrent une espèce de désarroi douloureux, parmi tant de douleurs, à la pensée que leur manquerait le réconfort quotidien de ses articles et, pour ainsi parler, de ses lettres, tant ses articles semblaient s’adresser à chacun de ses lecteurs avec une telle intimité de sympathie, avec une étonnante justesse d’amitié. Je ne sais si jamais écrivain, publiciste de tous les jours, est allé si loin dans la foule, y a gagné ce crédit, cette confiance, en quelque sorte, filiale. L’Echo de Paris a réuni en un volume les Derniers articles d’Albert de Mun ; relisons-les : nous y retrouverons et nos angoisses des premiers temps de la guerre, angoisses qu’il a endurées jusqu’au martyre, et le secret de cette véritable communion qu’il avait su établir entre tous ses compatriotes et lui.

Certes, il était un grand orateur et, dans sa prose, où l’on ne remarque pas une habileté particulière, un art très subtil des sons et des tours, on entend la voix même de son éloquence. On aperçoit le geste. On aperçoit et l’on entend l’homme qui parle ; on dessinerait son attitude et l’on noterait ses accens. Mais il ne s’agit point d’éloquence, d’art ou d’habileté. Ce n’est point par-là que M. de Mun, pendant les mois d’août et de septembre 19U, parvint jusqu’à l’âme de la patrie inquiète : c’est tout uniment par la spontanéité du cœur. Le cœur : il faudra, vingt fois, répéter ce mot.

Son premier article est daté de Roscoff, 28 juillet : « La guerre !… » On travaillait aux champs ; la moisson commençait et l’on n’était en peine que de savoir si le temps serait bon pour la récolte. Soudain, la guerre ! « On vient à moi, on m’interroge. Comment cela est-il arrivé ?… » Il ne l’ignore pas. Depuis deux ans, il regarde monter l’orage, il le regarde s’accumuler et devine que les gros nuages ne tarderont pas à crever ; il annonce « l’heure décisive. » La Russie n’abandonnera pas les Slaves des Balkans ; alors éclatera le conflit des Germains et des Slaves. Nous, la France, nous aurons à choisir, dans cette alternative, l’infamie ou la guerre. Donc, c’est la guerre, n’est-ce pas ?… Paris, 2 août : « L’heure n’est plus aux longs articles écrits dans le silence et la réflexion. Chaque jour, autant que je pourrai, je noterai ici les battemens de nos cœurs… » Et il se met à la besogne… « Si j’entends bien l’écho des âmes… » Il l’entend bien : deux sentimens s’y démènent, colère et fierté ; colère contre l’Allemagne