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malade se sera avoué à lui-même qu’il court au moins quelque risque de « rester aveugle. » Les perspectives que nous pourrons lui ouvrir alors ne sont, hélas ! pas bien engageantes. Ne les embellissons pas, pour ne pas ménager de déceptions. Il est trop tard à trente ans, ou même à vingt, pour entreprendre des études musicales qui demandent une oreille jeune et de longues années d’écolage, trop tard même, bien souvent, pour apprendre l’accordage des pianos. Il faut se contenter d’un apprentissage relativement court, et, dès lors, ce sera soit la brosserie, soit le rempaillage et le cannage des chaises, soit la fabrication des balais de sorgho ou des tapis-brosses, qui feront le lot du plus grand nombre, tous métiers à salaires bas (1 fr. 50 à 3 fr. par jour au maximum, quand la marchandise s’écoule sans difficulté). Ce sont, en effet, des métiers faciles, par conséquent encombrés, et l’ouvrier aveugle, surtout quand la cécité est survenue à l’âge adulte, travaille beaucoup plus lentement que son concurrent clairvoyant. J’espère que la matelasserie et la cordonnerie vont, elles aussi, devenir en France des professions d’aveugles. Toutes deux ont donné de bons résultats à l’étranger, la cordonnerie surtout au Danemark, la matelasserie en Écosse et en Angleterre. Leur acclimatation présente quelques difficultés dont il faudra triompher : la réparation de la chaussure, — je ne parle pas de sa fabrication, que la concurrence des usines rend insuffisamment rémunératrice, — a le défaut d’exiger, comme la vannerie, passablement d’adresse et un long apprentissage ; quant à la matelasserie, elle suppose, pour être pratiquée avec succès par les aveugles, la création, à la porte des villes, d’ateliers où la réfection des matelas se ferait en grandes quantités. Le matelassier aveugle ne peut pas, en effet, sans le secours d’un clairvoyant, se transporter, selon notre coutume, de cour en cour, dans des lieux qui lui sont inconnus, pour travailler à domicile. Du moins sommes-nous en droit, d’ores et déjà, d’espérer que ceux qui exerçaient ces métiers avant la guerre pourront s’y tenir avec profit.

On conseille aux cultivateurs, dans la plupart des cas, de faire de même. Ils seront mis en rapport avec des aveugles qui, entourés de beaucoup d’aide, naturellement, trouvent moyen de se rendre vraiment utiles dans les travaux de la campagne, et qui leur communiqueront le fruit de leur expérience. Les succès obtenus par des aveugles dans certaines branches de ces