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épargnent l’humiliation, presque toujours très sensible à un mutilé, de sentir leur infériorité. L’organisation de ces écoles régionales, en aussi grand nombre que les exigeront la cruauté et la durée d’une guerre sans précédent, est un devoir qui incombe à l’État, le créancier naturel des dettes qu’aucun membre de la société ne peut désavouer, ou à ses substituts, le département et la commune.

Quant aux blessés de la dernière classe, celle des invalides, l’État ne pourra que les hospitaliser. Seulement il importe, par humanité autant que dans l’intérêt de la collectivité, que cette dernière catégorie soit réduite le plus possible. Entre l’invalide impuissant à tout travail, et le mutilé capable de prétendre à un salaire intégral, bien des degrés sont à distinguer. Et chaque homme devra conserver par le travail la part de dignité et d’indépendance que le sort lui aura laissée. Les ateliers dont nous avons parlé jusqu’à présent seront, bien entendu, des ateliers d’apprentissage seulement. Aussitôt formé, l’ouvrier les quittera. Ils disparaîtront le jour où y auront passé tous les mutilés de la guerre qui en auront manifesté le désir. Mais, contrairement à M. le docteur Mosny, je crois que, à côté et au-dessous de ces ateliers d’apprentissage, il y aurait place, au profit des plus déshérités, pour des ateliers permanens, qui assureront en tout temps un travail rémunéré, majoreront légèrement les salaires quand leur modicité risquera de décourager, se doubleront de cantines à bon marché, en somme créeront, à l’abri des heurts de la concurrence vitale, un milieu un peu artificiel, le seul où beaucoup d’infirmes puissent déployer utilement leur activité. Nous avons chez nous le modèle de pareils établissemens. Visitons les ateliers fondés par M. Marsoulan à Montreuil-sous-Bois et, à Paris, rue Compans et rue Planchat, ateliers où le Conseil général de la Seine et le Conseil municipal de Paris entretiennent près de cinq cents ouvriers infirmes ou estropiés. On y pratique avec succès le cannage, la serrurerie, la fabrication des nattes en jonc, des tapis en alfa, des liens pour l’agriculture, la reliure surtout. L’originalité de la maison est dans l’organisation du travail par équipes d’ouvriers qui, diversement mutilés, se complètent les uns les autres à la manière de l’aveugle et du paralytique. De la sorte, chacun s’attachant à telle part de la tâche qui convient à son infirmité, les facultés de tous, même des