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situation qui lui permit de s’imposer au Parlement en s’appuyant sur des forces étrangères au Parlement. En une semaine, en effet, la face des choses allait se retourner à l’avantage du ministère qui, jouant avec hardiesse, ne craignait pas de faire appel au sentiment public.

Le 13 mai, la nouvelle avait couru, prenant d’heure en heure plus de force, que M. Salandra, devant l’opposition neutraliste, allait renoncer au pouvoir. L’émotion montait dans Rome et, le soir, la même foule qui, la veille, avait acclamé M. d’Annunzio, se trouvait rassemblée sous ses fenêtres et réclamait de nouveau sa parole. Le poète obéit au vœu de la foule. Mais combien son accent avait changé depuis la veille ! Ce discours, il en a donné le texte dans le recueil « d’oraisons et de messages » qu’il a intitulé : Per la piu grande Italia. Il l’a publié au chapitre de « la loi de Rome, » sous ce titre, d’un Tite-Live un peu romantique : « Harangue au peuple romain en tumulte. » On pensera, en effet, en lisant cette page, aux jours les plus tumultueux que, dans sa longue histoire, ait traversés la Ville éternelle.


Compagnons, — s’écriait le poète, — ce n’est plus le temps de parler, mais d’agir ; ce n’est plus le temps des discours, mais des actes, et des actes romains.

Si l’on regarde comme un crime le fait d’inviter les citoyens & la violence, je me vanterai de ce crime, je le prendrai sur moi seul..,

Écoutez-moi. Entendez-moi. La trahison aujourd’hui est manifeste. Nous n’en respirons pas seulement l’horrible odeur : nous en sentons déjà tout le poids ignominieux. La trahison s’accomplit à Rome, dans la cité de l’âme, dans la cité de la vie Dans notre Rome, on tente d’étrangler la Patrie avec une corde prussienne… C’est à Rome que s’accomplit cet assassinat. Et si je suis le premier à le crier, et si je suis le seul, demain vous me tiendrez compte de ce courage. Mais peu m’importe !…

Écoutez. Nous sommes sur le point d’être vendus comme un vil troupeau. Sur notre dignité humaine, sur la dignité de chacun de nous, sur le front de chacun de nous, sur le mien comme sur le vôtre, comme sur celui de vos fils, sur celui de vos enfans à naître, il y a la menace d’une marque servile. S’appeler Italien, ce sera porter un nom qui fera rougir, un nom qui fera se cacher de honte, un nom qui brûlera les lèvres.


Il n’est pas difficile d’imaginer l’effet que des paroles aussi enflammées devaient exercer sur une foule dont les nerfs étaient soumis depuis longtemps à de si rudes épreuves. Il y avait, dans ce discours, comme des ardeurs de guerre civile, et ce