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d’Etat et de quelques diplomates, se trouve coïncider avec le « Sacre des Mille, » avec les fêtes organisées à Gênes en l’honneur de Garibaldi : commémoration qui venait juste à point pour surexciter le sentiment national.

Sur le rocher de Quarto, d’où, le 5 mai 1860, Garibaldi et ses compagnons étaient partis, — Cavour fermant les yeux avec complaisance, — pour leur aventureuse expédition de Sicile, on attendait de tous côtés que fussent proclamés les destins de l’Italie nouvelle. Le mot que se murmuraient les Génois, cinquante-cinq ans plus tôt, le « partono stanotte » qu’ils s’annonçaient joyeusement en parlant des Mille, c’est à l’armée italienne, devenue l’une des grandes armées de l’Europe, avec ses millions de soldats, qu’il s’appliquait cette fois-ci. Le grand départ semblait prochain. Le Roi, les ministres étaient attendus à Quarto, d’où ils devaient en faire l’annonce solennelle. Et, mettant fin à son exil volontaire, un poète italien revenait dans sa patrie pour ne pas manquer cette heure. M. Gabriele d’Annunzio avait déclaré qu’il ne rentrerait que le jour où l’Italie se réveillerait. Se doutait-il alors du rôle que les événemens lui réservaient dans ce réveil ? Savait-il que, du rocher de Quarto, lui aussi devait partir pour des aventures ?…

On peut dire que, durant cette journée de fête, tandis qu’on ignorait encore que la rupture avec l’Autriche fût un fait accompli, tout le peuple italien, l’Europe, le monde entier, avaient les yeux fixés sur la roche historique. Là, pensait-on, serait proclamée l’entrée de l’Italie dans la guerre… Avec quels sentimens partagés fut accueillie la nouvelle que ni le Roi ni les ministres n’assisteraient à la cérémonie, on se le rappelle encore, les uns craignant un recul dont se félicitaient les autres. Tout de suite, pourtant, la dépêche d’excuse du Roi mettait les choses au point. Il suffisait de savoir lire pour interpréter justement ce message. Peut-être ne contenait-il pas de mot aussi éclatant que le célèbre grido di dolore par lequel l’aïeul de Victor-Emmanuel III, dans une circonstance semblable, avait ému toute l’Europe. Mais le Roi révélait sa pensée et son dessein en évoquant, précisément, la mémoire de son aïeul et en associant au souvenir du « galant homme, » et le souvenir de celui qui, le premier, avait « préconisé l’unité de la patrie, » et celui de ce « capitaine des Mille, » parti « de la rive célèbre de la mer ligurienne, avec une audace immortelle,