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tard, le marquis de San Giuliano encourut encore les colères de la presse allemande lorsque la campagne de Tripolitaine fut décidée et la guerre déclarée à la Turquie. En revanche, toutes les faveurs de l’Allemagne étaient pour lui lorsqu’il signait le renouvellement de la Triple-Alliance, par exemple, ou lorsqu’il prononçait son grand discours-programme du mois de février 1913, qui semblait annoncer une extension de la Triplice, jusque-là purement continentale, aux questions maritimes, et promettre une collaboration de l’Italie avec l’Allemagne et l’Autriche dans la Méditerranée.

En somme, la longue gestion des affairés extérieures de l’Italie par le marquis de San Giuliano, son ministère abondant en événemens et fertile en résultats, avaient eu pour principe une sorte d’équilibre tenu entre les Empires du Centre et la Triple-Entente. À cette balance, correspondait et devait naturellement correspondre la déclaration de neutralité de l’Italie proclamée dès le 3 août 1914. Mais, au milieu de cette politique, la pensée profonde du marquis de San Giuliano ne se laissait pas aisément définir. On peut même croire qu’il ne lui déplaisait pas de donner de lui-même une impression énigmatique. Avait-il adapté à la situation de l’Italie moderne en Europe la fameuse « versatilité réfléchie » des anciens ducs de Savoie ? Avait-il voulu pratiquer une politique de ménagemens et d’attente en raison des orages qu’il voyait grossir ? Le fait est que son intelligence semblait répugner aux décisions sans appel et aux résolutions irréparables. Des hommes qui l’ont connu dans l’intimité affirment même que le fond de la pensée de ce gentilhomme sicilien était le scepticisme, un esprit d’examen et de doute appliqué tour à tour à toutes les forces qui se trouvent en présence dans l’Europe contemporaine : la neutralité italienne répondait parfaitement à des dispositions de cette nature. Et, si rien n’autorise à préjuger que le marquis de San Giuliano eût persisté jusqu’au bout dans son point de vue initial, qu’il n’eût pas fini par prendre la voie dans laquelle devait entrer son successeur, par se ranger du côté des Alliés pour faire respecter avec eux l’équilibre européen que menaçait l’agression des Empires du Centre, il n’en est pas moins vrai que, jusqu’à sa mort, l’Italie a strictement gardé, vis-à-vis des belligrérans, l’attitude de neutralité où elle avait déclaré se tenir au début de la guerre générale. La France, en