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Müller, accompagné du secrétaire belge du B.S.I., Huysmans, se présentait inopinément devant le groupe socialiste des parlementaires français, réunis dans une salle du Palais-Bourbon. Il accourait de Belgique en automobile et avait eu peine à trouver son chemin. Il tint aux camarades français le langage suivant aussitôt traduit : Une guerre défensive est seule légitime, mais, dans le cas présent, il est malaisé de savoir quel est l’agresseur et vain de rechercher les responsabilités que se partagent tous les États, puisque le régime capitaliste en porte seul toute la culpabilité. L’Internationale doit imposer son idéal de paix. Il ne peut être question de voter les crédits : il s’agit de choisir entre un vote négatif ou l’abstention. — Les socialistes français acceptèrent la seconde hypothèse, mais refusèrent de s’engager : l’unité de geste des deux côtés de la frontière n’était possible que si les circonstances étaient identiques. Müller en convint, en ajoutant que l’acceptation des crédits était chose impossible, et il reprit aussitôt la route de l’Allemagne.

En dépit de ces affirmations, à Berlin, le 3 août, de longues et passionnées controverses, agitèrent le groupe socialiste parlementaire. A gauche, Karl Liebknecht, Haase, président de la fraction, Ledebour, Weill, en tout quatorze députés, soutenaient que le refus des crédits militaires était de règle dans le parti, qu’on était mal instruit des conditions où s’engageait la guerre, résultat d’un système que la socialdémocratie avait énergiquement combattu. Accorder les crédits, c’était se mettre en contradiction avec soi-même et créer une grande confusion dans l’Internationale.

Le Centre et la Droite socialistes, au nombre à peu près égal d’une quarantaine de députés de chaque côté, inclinaient en sens contraire. Au Centre, Bernstein et ses amis jugeaient que les socialistes n’avaient pas le droit de se séparer de l’ensemble de la nation menacée par l’absolutisme russe. La Droite, avec le docteur David, Wolfgang Heine, pour ne citer que les plus connus, acceptait franchement la collaboration de classes pleine et entière : du moment que le pays est en guerre, il ne subsiste plus de partis. Les socialistes doivent sans réserve associer leur action à celle du gouvernement.

Dans la chaleur de la discussion, la Serbie, cause primitive du conflit, était oubliée. La majorité tirait argument de la mobilisation russe (bien que le Vorwaerts en eût démontré le