Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/540

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les délégués socialistes rentraient à Paris le cœur plein d’espoir, persuadés « que cette crise se dénouerait comme les autres, » qu’il serait possible d’organiser solidairement le prolétariat devant l’abominable menace. En permanence au Palais-Bourbon, les 30 et 31 juillet, les députés socialistes multipliaient leurs démarches auprès du président du Conseil, le pressaient d’agir sur la Russie, heureux d’apprendre que selon leurs vœux, pour achever de marquer que la France restait sur la défensive, nos troupes se tiendraient à huit kilomètres de la frontière.

Le 31 juillet au soir, la balle d’un fanatique frappait mortellement Jaurès, au moment même où la déclaration de guerre adressée par l’Allemagne à la France allait changer le cours de ses sentimens et les circonstances l’appeler à des destinées nouvelles. Il succombait, première victime de cette conflagration européenne, dont il croyait conjurer le péril, aveuglé par son optimisme, se fiant à la force de l’Internationale, au progrès humanitaire, à la vertu de la persuasion, au souffle d’une éloquence maîtresse, pour subjuguer l’éternel instinct prédateur dont la guerre est la forme sanglante.


III

Dans toutes les sections de l’Internationale l’opinion semblait unanime contre la guerre. Mais nulle part on ne passait des paroles aux actes. La propagande extra-parlementaire ne pouvait aboutir à rien : les faits allaient justifier les Allemands toujours hostiles à la grève générale anti-guerrière comme a la plus dangereuse des utopies. Comment obtenir, en effet, la simultanéité de mouvement, sans laquelle une grève séparée serait trahison, lorsque la déclaration de guerre abaisse un rideau de fer entre ceux qui se veulent concerter, et que, dans chaque pays, la mobilisation noie les socialistes au milieu du flot agité et excité des recrues ? au moindre signe de rébellion tout réfractaire serait passé par les armes.

Il restait aux socialistes la ressource d’exercer leur action dans les Parlemens. Ils s’y trouvent partout en minorité. Mais on faisait confiance à la socialdémocratie allemande. Ses députés au Reichstag n’allaient-ils pas renouveler la protestation véhémente de Bebel et de Liebknecht, en juillet 1870 ? et leurs cent onze voix, expression du tiers du corps électoral allemand,