Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/538

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il s’agissait de coordonner un mouvement d’ensemble susceptible d’intimider les gouvernans. Le 29 juillet, le jour même où la Russie décrétait une mobilisation partielle, au lendemain de la déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie, les membres les plus marquans de l’Internationale, délégués par douze de ses sections adhérentes, se réunissaient à Bruxelles, à la nouvelle Maison du Peuple, sous la présidence de Vandervelde.

Le Dr Adler prit le premier la parole, au nom des socialistes autrichiens, à la séance secrète du matin : son discours causa la déception la plus vive et suscita d’ardentes discussions lorsqu’il déclara que la guerre contre la Serbie était très populaire en Autriche, qu’il serait très difficile de résister à l’entraînement, que tout ce que pouvait faire le parti socialiste autrichien c’était de préserver la classe ouvrière de l’infection patriotique et de tâcher de maintenir ses organisations. — Rosa Luxembourg, déléguée de la Pologne, affirma que le Kaiser savait déjà que les socialdémocrates lui créeraient des difficultés. Jaurès demanda au fondé de pouvoir des socialistes allemands, Haase, de vouloir bien préciser leur action : celui-ci répondait qu’à Berlin, à Hambourg, dans toutes les villes d’Allemagne, des foules immenses étaient prêtes à s’insurger contre la guerre, une agitation intense gagnerait aussitôt « les casernes et les administrations de l’Etat. » Le soir même, à une réunion publique au cirque de Bruxelles, où se pressaient toutes les classes de la société, et où les orateurs français, allemands, russes, hollandais, occupèrent la tribune, Haase s’écriait que l’ultimatum prouvait que la guerre avait été préméditée. « Les bourgeois français et allemands désirent l’intervention, qu’ils prennent garde à la révolution prolétarienne. » Comme le remarque un socialiste, M. La Chesnais, auteur d’une intéressante brochure à laquelle nous empruntons ces détails[1], Haase parle de la responsabilité de la bourgeoisie allemande, mais il passe sous silence celle du gouvernement : et il atténue celle de la bourgeoisie germanique, en la partageant fraternellement avec la bourgeoisie gauloise. L’artifice est ingénieux. Jaurès, au nom de la France, prononça sa dernière harangue pour la paix du monde. Il accusait l’Autriche et l’Allemagne, il

  1. Le groupe socialiste du Reichstag et la déclaration de guerre. Armand Colin.