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l’ultimatum, mais de la décision que prendrait l’Autriche, car il pouvait agir sur elle et assurer la paix. Le comité directeur prenait, en terminant, le ton démagogique : « Il ne faut pas qu’une goutte de sang allemand coule pour cette cause ; il ne faut pas que le prolétariat serve de chair à canon aux classes qui l’exploitent. »

Une campagne de meetings s’organisait en même temps dans les grandes villes et les centres industriels ; les orateurs étaient acclamés au cri de : A bas la guerre ! Vive la fraternité des peuples ! Vive l’Internationale ! Le 28 juillet, un cortège socialiste se heurtait à Berlin, Unler den Linden, à une manifestation patriotique, et le sang coulait. Le gouvernement avait toléré cette campagne, comme s’il avait à cœur de témoigner de ses intentions pacifiques : il prévenait hypocritement les socialistes de prendre garde, par leurs manifestations, d’encourager les tendances belliqueuses de la Russie.

Privés de toute liberté de mouvement, soumis à, la censure, le parlement ne siégeant pas, les socialdémocrates autrichiens protestaient contre un système de gouvernement qui faisait violence à la volonté populaire. Ils se prononçaient contre l’agitation des grands serbes, mais l’Autriche pouvait obtenir satisfaction autrement que par la guerre. À ce manifeste manquait toutefois la signature des membres tchèques et polonais de la socialdémocratie autrichienne, qui faisaient cause commune avec leurs frères slaves de Serbie.

Tout à l’opposé des Allemands et surtout des Autrichiens, les socialistes français non seulement jouissaient de toute liberté, mais ils n’étaient pas sans influence sur la majorité et le ministère. Les élections de mai avaient considérablement grossi leurs effectifs, porté le nombre de leurs députés à 101, celui de leurs électeurs à 1 400 000, succès que Jaurès attribuait à leur opposition à la loi de trois ans. Ils pressaient le gouvernement de redoubler d’efforts pacifiques, d’empêcher la Russie de chercher un prétexte d’agression dans la défense des intérêts slaves. Ils appelaient en même temps les citoyens français à une intense agitation contre « l’abominable crime qui se prépare. »

Rapprochée des unifiés dans un commun effort, la Confédération générale du Travail lançait à son tour un appel aux syndicats : « La volonté nationale était plus puissante que les traités secrets, elle pouvait empêcher une guerre européenne qui serait