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Sous les voûtes de la cathédrale de Bâle, du haut de la chaire sacrée, Jaurès, au nom de l’Internationale et de la France, déclarait la paix a l’Europe. Mais les cloches pacificatrices de Bâle sonnaient plutôt comme un tocsin aux oreilles des socialistes attentifs et observateurs. A la fin de 1912, M. Andler, dans deux articles publiés par l’Action nationale, notait ses impressions d’un voyage en Allemagne. Le ton des journaux du parti, lors du coup d’Agadir et pendant les négociations marocaines, l’avait vivement frappé. Une revue, les Sozialistische Monatshefte, des brochures et des livres prouvaient quel écho le pangermanisme rencontrait dans la socialdémocratie. Les citations les plus probantes révélaient un nouvel esprit, celui « d’un socialisme d’affaires, militariste et colonial, teutomane et détrousseur. » Les classes ouvrières étaient représentées comme solidaires du capitalisme, solidaires de la politique d’armemens, défensive en principe, offensive, s’il le faut. Les ouvriers étaient intéressés à la victoire de l’Empire, au maintien de la dynastie régnante. Bebel n’avait-il pas dit : « L’Empereur est au-dessus des partis. »

M. Andler constatait la force de ce courant néo-lassallien dans la jeune génération, sans qu’il fût possible d’établir la ligne de démarcation entre ceux qui adhéraient à ces idées et ceux qui restaient fidèles aux principes du marxisme international. Il s’attirait de la part de Bebel le plus violent démenti. Mais les socialdémocrates donnaient à ses articles une première confirmation, en votant, le 3 juillet 1913, l’impôt extraordinaire sur la richesse, destiné à renforcer considérablement l’armée allemande ; ils justifiaient leur vote par des raisons spécieuses. Quel avertissement plus péremptoire pouvaient-ils donner aux socialistes français ?

Ceux-ci n’ignoraient pas la gravité du danger créé par la situation européenne. Mais Jaurès, plein de confiance optimiste, pensait que chaque jour écoulé consolidait la paix. Lui et ses amis se flattaient d’y travailler en combattant avec acharnement la loi de trois ans, en proposant d’y substituer les milices purement défensives qu’Engels jugeait impuissantes en face de l’armée de métier. Dans l’intérêt suprême de la paix, Jaurès et M. Sembat exigeaient la dénonciation de l’alliance russe, l’abandon de l’idée de revanche, le renoncement à l’Alsace-Lorraine, le rapprochement avec l’Allemagne, sans réfléchir que c’eût