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mystérieux désigné discrètement du seul nom de X-Motu (ou Port-X), et appelé de plus en plus à servir de « base navale » à toute la marine militaire allemande du Pacifique. Et voici qu’en effet, après de longues journées de traversée pendant lesquelles le bateau ne s’arrête, de temps à autre, que pour recommencer plus heureusement sa tentative « civilisatrice » de l’île Lafaïti, Harrington a l’extrême surprise de le voir s’engager dans un étroit chenal ouvert au centre d’une île qui, du dehors, semble être absolument inculte et déserte ; après quoi se découvre à ses yeux émerveillés, abritée dans une baie profonde à l’intérieur de l’île, une « véritable Venise du Pacifique, » — une cité secrète et déjà florissante que l’Allemagne a soudain fait jaillir de terre, avec une respectable ceinture de forts et une ample rade où stationnent tout à l’aise, en compagnie d’un croiseur et d’une canonnière, une cinquantaine de bateaux de commerce allemands de toutes dimensions. C’est le X-Motu dont parlaient volontiers avec un mystère mélangé d’orgueil, les officiers du Gronau ; et à peine le paquebot y a-t-il jeté l’ancre qu’aussitôt le pauvre Harrington se trouve à même d’observer, bien contre son gré, un nouvel aspect de l’âme allemande.

Car le fait est qu’aussi longtemps que le commandant militaire du Gronau et ses subordonnés avaient eu besoin de l’assistance professionnelle du médecin anglais, il n’y avait pas d’attentions ni de faveurs qu’ils ne fussent prêts à lui accorder. Non contens de le traiter lui-même beaucoup plus en ami qu’en prisonnier, et non contens de réprimer stoïquement, devant lui, les désirs qu’éveillait en eux l’élégante et sensuelle beauté de sa jeune femme, ils avaient poussé leur complaisance envers lui jusqu’à se relâcher sensiblement de leur rigueur à l’endroit de ses compagnons de captivité, — ou du moins à l’endroit de ceux d’entre eux qui demeuraient vivans, car plusieurs avaient succombé aux terribles épreuves des premiers jours. Mais à présent, tout cela va s’évanouir d’un seul coup, « comme un trop beau rêve. » Les Allemands n’ont plus besoin de la science du médecin anglais, et, au contraire ils ont grand besoin des bras vigoureux de ses compatriotes, sans compter leur espérance de pouvoir se gagner, de gré ou de force, l’amitié de la belle Lida après qu’ils seront parvenus à la séparer définitivement de son mari. Si bien que, dès l’arrivée du paquebot dans la rade de X-Motu, le commandant von Oppel et son neveu se hâtent de disparaître, abandonnant leur médecin et ami de la veille aux rudes mains d’un de leurs collègues qu’ils affectaient à l’ordinaire de tenir pour indigne de leur société, — le terrible