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Petermann. Aussi bien de quoi se plaindrait l’éternelle déçue, et n’a-t-elle pas pour elle sa vertu ? « Ma vertu ! Pour ce qu’elle m’a rapporté jusqu’à présent I Oh ! je n’attendais d’elle aucun bénéfice spécial, mais je ne croyais pas non plus qu’elle me créerait un privilège à rebours, un privilège de malchance, ou qu’elle dispenserait les autres de justice à mon égard, et même de pitié… Ah ! j’aurai été une bonne dupe dans la vie, convenez-en. » La duperie de la vertu, l’inutilité du sacrifice, c’est ce qu’exprime ce rôle avec une rare émotion. Lia continuera de se dévouer, parce que telle est ici-bas sa fonction, pour laquelle elle a été désignée par un décret nominatif de la Providence. Elle sera la vertu sans l’espérance et la bonté sans l’illusion.

L’Aînée, dans sa simplicité, est une grande comédie. La Massière est encore une œuvre de psychologie bien pénétrante et d’ailleurs à peine moins amère. Jules Lemaître y est revenu sur une question délicate dont il semble avoir été très préoccupé. Il y a dans la vie de l’homme un tournant dangereux, un passage où la nature a disposé ses pièges. Comment en sortir avec honneur ? C’est le moment où l’homme qui n’est plus jeune éprouve le besoin d’un foyer, où celui que l’amour va quitter souhaite d’en goûter encore une fois l’enivrement : heure propice à toutes les défaillances. Par mesure préventive, Chambray, de l’Age difficile, s’est installé dans le ménage de sa nièce, et l’a parfaitement brouillé : cela par le seul effet de cette maladresse inhérente à l’âge que Pailleron appelait : l’Age ingrat. Le tort du bonhomme était d’être resté célibataire. « La vérité, dit-il, c’est d’être marié à vingt-cinq ans. » Le peintre Marèze s’est marié à vingt-cinq ans, c’est un laborieux, c’est un homme de foyer. Et voilà que, vers la cinquantaine, il court une aventure qui est tout près de faire de lui le rival de son fils ! La forme la plus désobligeante de cet âge difficile nous est présentée dans Bertrade, où un vieux gentilhomme est sur le point d’épouser une drôlesse qui s’est retirée après fortune faite. Cette fois, le spectacle était pénible. La pièce fut froidement accueillie. Jules Lemaitre ne donna plus rien au théâtre.

Il y. avait dit, et de la façon la plus claire, tout ce qu’il avait à dire. Ce théâtre est-il celui d’un sceptique ? On a longtemps reproché son scepticisme à Jules Lemaître. Mais il aurait pu répondre comme un de ses personnages, qui fait antithèse au député Leveau : « J’ai l’air de me moquer du monde, je ne sais pas pourquoi : par fausse honte, par timidité, par crainte d’exagérer et de surfaire ce que j’ai de bon en moi. Et au fond il y a un tas de choses auxquelles je crois,