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femme adultère ; puis, par réaction, il l’a abattue comme une bête malfaisante ; enfin, les mœurs s’adoucissant, il lui a pardonné. Mais pardonner, le peut-on, si même on le souhaite, et quand même on le devrait ? Le pardon véritable, non du bout des lèvres mais du fond du cœur, n’est-il pas au-dessus des forces humaines ? Voici un homme que sa femme a trompé. Une amie s’entremet, rapproche les deux époux. La vie commune recommence et, le plus loyalement du monde, le mari, qui a « pardonné, » s’efforce de la rendre possible. Cependant, torturé par une blessure toujours cuisante, il torture celle qu’il avait promis d’épargner. Il l’accable de questions, d’allusions, de soupçons. Il en rougit, jure chaque soir de ne pas recommencer, et recommence le lendemain. C’est plus fort que lui. Tel est ce supplice à deux, cet enfer d’un ménage réconcilié… J’ai toujours pensé que la première partie du Pardon où la situation est posée comme je viens de le rappeler, est, pour la simplicité de la forme, comme pour la vérité de l’observation, quelque chose d’achevé.

Mais c’est pour la seconde partie que la pièce a été écrite, et c’est maintenant que la signification de l’œuvre va se découvrir. Entre l’amie et le mari une intimité s’est établie, toujours dangereuse entre une femme jeune, séduisante, et un homme qui a souffert par l’amour. Ce qui avait bien des chances d’arriver arrive. Ainsi les rôles sont renversés, et les honnêtes gens de la pièce sont devenus aussi coupables, plus coupables que la coupable. « Moi du moins, remarque judicieusement celle-ci, je ne m’étais pas fait une spécialité de la vertu, et ma faute ne se compliquait pas de fourberie. Mais toi, non seulement tu as trompé ton mari, comme moi, mais tu m’as trahie, moi, de la façon la plus odieuse et avec d’atroces raffinemens dans le mensonge. Au moment même où, avec des airs de miséricorde, ta vertu s’inclinait sur mon indignité, tu faisais cent fois pire que moi. » Ah ! qu’elle a raison ! Qu’elle honnit justement ces vertueuses personnes ! Mais ce à quoi elle ne réfléchit pas, dans sa juste colère, c’est que leur vilaine action la sauve et résout une question qui semblait insoluble. Maintenant qu’il se sait, lui aussi, faillible, ce mari, si malhabile à pardonner, va s’ouvrir à la pitié véritable : tous les obstacles au pardon vont disparaître comme par enchantement. « C’est maintenant que l’oubli est devenu possible. Ce n’est pas joli, va, le cœur d’un homme… Je n’ai plus le droit, à présent, d’être orgueilleux et dur avec toi. Nous sommes quittes. » Jules Lemaître tient que le seul pardon humainement possible s’explique non par la supériorité morale de quelques-uns, mais par l’égalité de tous dans