Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/455

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intéressantes et de remarques profondes ou subtiles, mais enfin une « grande machine. » Passons plus vite encore à côté de la Bonne Hélène, simple gaillardise qui en vaut une autre et ne vaut pas mieux. Mais Mariage blanc est un ouvrage de qualité rare et d’espèce singulière et qui atteste une exquise sensibilité. Vous vous souvenez de cette petite poitrinaire qui meurt lentement aux rives parfumées de la Côte d’Azur. Le mal a respecté sa beauté et l’a comme spiritualisée. Il en a fait un être diaphane et léger qui tient à peine à cette terre. Je ne crois pas qu’on ait jamais traduit en termes plus délicats, sans fausse sentimentalité, la poésie de la maladie. « Elle partira, n’ayant connu des hommes que ce qu’ils ont de plus pur et de meilleur, la sympathie sans désirs et la chaste pitié. La maternité ne la flétrira pas, ni la vieillesse. Elle s’évanouira comme le parfum d’une fleur et laissera au cœur de tous ceux qui l’auront rencontrée le souvenir d’une petite ombre charmante… C’est une jolie destinée, ça. » Triste destinée : mourir sans avoir vécu ! Simone rêve entre les pages de son livre et soupire avec la jeune fille antique : « Je veux bien mourir, ô déesse, mais pas avant d’avoir aimé… »

Vient à passer un original. M. de Tièvre est un homme de plaisir que le plaisir n’amuse plus. Pourquoi ne s’amuserait-il pas à faire un peu de bien ? Pourquoi ne donnerait-il pas à cette charmante et douloureuse petite Simone l’illusion qu’elle est une femme comme les autres et qu’elle a vécu toute la vie ? Telle est cette gageure d’un « mariage blanc » que M. de Tièvre se propose en toute sincérité de tenir. Et pourtant, cette bonne action de M. de Tièvre achèvera de tuer Simone et avancera l’heure de sa mort. Ah ! c’est que la nature a de terribles revanches et qu’elle se venge de ceux qui ont méconnu ses droits. On ne joue pas avec la vérité. On ne badine pas avec la force des choses. On ne se risque pas impunément aux sentimens quintessenciés et aux situations paradoxales. On veut faire l’ange et on n’est que de pauvres hommes… Une autre leçon se dégage encore de cette pièce la moins dogmatique qui soit et qui ne vise qu’à être gracieuse et touchante : c’est qu’on ne fait pas le bien par passe-temps de désœuvré et caprice de dilettante. Il y faut un apprentissage, une éducation, une disposition de tout l’être. Une bonne action ne fait pas la vertu : elle la suppose. M. de Tièvre était un homme de bonne volonté, mais il manquait d’habitude.

Le sujet de Mariage blanc était fort exceptionnel : celui du Pardon est un de ceux auxquels le théâtre est le plus souvent revenu et reviendra sans cesse. A l’époque romantique, le théâtre exaltait la