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REVUES DRAMATIQUE

LE THÉÂTRE DE JULES LEMAÎTRE

En lisant dans les journaux, le mois dernier, qu’un service anniversaire venait d’être célébré dans l’église de Tavers en souvenir de Jules Lemaitre, j’ai éprouvé comme un remords de n’avoir pas encore payé ma dette au brillant et délicat écrivain de théâtre qui nous a trop tôt quittés. Se peut-il que j’aie laissé passer tout un an sans rendre hommage à l’auteur de Mariage Blanc, du Pardon, de l’Aînée ? Mais dans l’angoisse qui nous étreint, parmi tant d’émotions communes et de tristesses intimes, nous ne savons plus comment nous vivons… De toute son œuvre, la partie que préférait Jules Lemaitre, c’étaient ses comédies. Essayiste, critique de théâtre, romancier, chroniqueur, conférencier, écrivain politique, et partout l’égal des premiers, le métier d’auteur dramatique est celui auquel il a dû ses plus grandes joies. Je lui ai souvent entendu répéter que c’était pour lui un effort de prendre la plume quand il avait à exposer des idées, — effort qu’à vrai dire ne faisaient guère soupçonner le tour aisé de sa phrase et le naturel de son style ; les mots venaient d’eux-mêmes, quand il s’agissait de faire dialoguer des personnages : le délicieux causeur leur prêtait toute l’agilité et toute la finesse de son esprit, et ce n’était pas plus difficile que cela. Pour moi, et si largement que je rende justice aux maîtres du théâtre d’aujourd’hui, je puis bien avouer qu’aucunes pièces ne m’ont causé un plaisir plus particulier, j’allais dire : plus personnel, que les meilleures comédies de Jules Lemaitre. J’y trouvais si continûment répandues les qualités qui me sont le plus chères : la pénétration morale, la justesse de l’observation, la