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bataille plaisantaient volontiers sur leur destin, même quand ce destin paraissait un trépas assuré. « Ce soir nous souperons chez Pluton, » disait Léonidas aux Thermopyles.

Socrate, avant de boire la ciguë, conversait tranquillement, presque joyeusement, avec ses disciples, et le Phédon nous a gardé le souvenir de cette belle sérénité. Lorsque Criton lui demande quelques indications sur les mesures à prendre pour l’ensevelissement :


Quels soins faudra-t-il prendre, ô maître, de ton corps ?


Socrate, avec un petit sourire railleur, lui répond :


Ainsi, mon cher Criton, malgré tous mes efforts,
Tu prétends que Socrate est cette chair instable !
Non ! non ! Je vrai Socrate, il est insaisissable :
Et, quand tu penseras le tenir en tes mains,
Socrate aura quitté le peuple des humains !


Les Stoïciens, qui ne voulaient pas regarder la douleur comme un mal, traitaient la mort avec plus de dédain encore que la douleur. N’est-elle pas la nécessité inéluctable, en même temps que l’inviolable asile contre toutes tyrannies ? Pourquoi se révolter de la condition commune ? Être né, cela veut dire qu’on doit mourir un jour.

Pour les vieux Romains de la République, comme pour les grands Stoïciens de l’Empire, la crainte de la mort était de tous les sentimens humains le plus vil.

Epicure et son grand disciple Lucrèce arrivaient, quoique par des voies toutes différentes, aux mêmes conclusions que les Stoïciens. En des vers magnifiques, dont l’éloquence et la précision ne peuvent être surpassées, Lucrèce nous donne les puissantes raisons pour lesquelles la mort n’est nullement à craindre. Il s’adresse à l’homme qui, songeant à son trépas, s’inquiète et s’épouvante :

« Quelle absurdité ! Pourras-tu être malheureux, quand tu ne seras plus ?


Non miserum fieri qui non est, posse.


Pourquoi te lamenter sur ton sort futur, et t’indigner à l’idée que les oiseaux et les fauves déchireront ton corps, ou que tes