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cheminée, dont l’usage est inconnu aux Allemands du Sud. On frémit en devinant quelles impitoyables représailles ont pu provoquer dans la Belgique actuelle des méprises analogues[1]. C’est également au sort des prêtres belges que l’on songe en lisant la triste histoire de ce capucin, arrêté sans motif près de Metz, jeté en prison, malmené par les soldats et sauvé à temps d’une exécution sommaire par l’intervention d’un officier. Sa robe seule avait causé sa mésaventure, parce que dans les « romans de guerre » elle servait d’ordinaire de déguisement aux espions[2] !

Toutes les menaces n’aboutissent malheureusement pas à l’éclaircissement d’un malentendu, et c’est par centaines que l’on compte des villages rançonnés, incendiés partiellement ou décimés sous le prétexte qu’un fil télégraphique a été coupé ou un coup de feu tiré sur leur territoire par des franc-tireurs. Les innocens sont ainsi frappés avec les coupables, mais cette considération ne semble pas embarrasser les officiers allemands. Le seul étonnement qu’ils éprouvent, c’est d’entendre qualifier d’aveugle et de barbare ce mode de répression : « Voilà bien la logique française[3] ! » s’écrie l’un d’eux. A quoi un de ses collègues répond fort justement dans une lettre à sa femme : « On fusille sous le plus léger prétexte. Tu peux te douter que nous ne sommes pas tendres. Je n’ose pas trop dire mon avis, car on me tient pour trop doux. Mais je crois avoir raison. Pourquoi s’en prendre à une maison parce que des francs-tireurs se sont jetés dedans pour tirer sur nos troupes ? On la brûle entièrement, et ce sont des habitans inoffensifs qui en pâtissent[4]. » A la fin de la guerre, l’amende n’est même plus employée comme châtiment, mais comme moyen de chantage. Au quartier général de Versailles et à la table royale, on déclare ouvertement qu’il faut redoubler de rigueurs pécuniaires envers

  1. Bauriedel, p. 94.
  2. Kretschmann, p. 224. Cf. l’entrefilet paru tout récemment dans les journaux du soir : « Un moine autrichien arrivant d’Allemagne a raconté à un rédacteur du journal catholique hollandais Tyd ses impressions sur ce pays. — On regrette, a-t-il dit, dans les milieux catholiques allemands, que les régimens saxons et mecklembourgeois qui sont protestans aient été chargés les premiers d’envahir la Belgique. Les hommes n’avaient jamais vu un costume de prêtre. Ils se faisaient une idée très fausse de la puissance des curés en pays catholique. Cela explique leur regrettable attitude vis-à-vis du clergé. »
  3. Bauriedel, p. 72.
  4. Kretschmann, p. 194.