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seconde, de les remplacer par une ligne de points : précaution bien inutile, puisqu’elles sont confirmées par le témoignage autorisé de Wilmowski[1].

De son côté, Bauriedel, retraçant l’aspect d’inutile dévastation d’une ferme de la Beauce où ses hommes n’ont passé qu’une nuit, croit atténuer l’horreur de ce spectacle par cette phrase stéréotypée, si souvent répétée par lui ou par d’autres : « C’est la guerre ! » Sentant toutefois ce que cette excuse présente d’insuffisant dans la circonstance, il la fait suivre d’une déclaration un peu inquiétante : « Dans la grande masse de l’armée allemande, écrit-il en propres termes, il y avait par exception, au milieu des caractères généreux et droits de nos braves soldats, des drôles de la pire espèce : c’est ainsi que je vis un jour à Brou un soldat du train prussien, se croyant inaperçu, s’amuser par pure rage de destruction (aus lauter Zerstörungsluft) à briser avec son sabre toutes les fenêtres du rez-de-chaussée dans la grande rue du village. » Il est permis de croire que, dans bien des cas, l’exception est devenue la règle, en vertu d’une transformation dont l’auteur nous livre le secret., Il raconte avoir vu dans la même localité un escadron de cuirassiers se ruer sur un fût de cognac « trouvé » et aussitôt défoncé, et se gorger de liqueur au point de ne plus pouvoir monter à cheval ; ce qui lui suggère cette réflexion naïve : « Autant le Bavarois se montre débonnaire à jeun, autant il est impossible à tenir et sujet aux pires déréglemens lorsqu’il a bu[2]. » Qui peut mesurer la part que ces accès de délire alcoolique ont eue dans les faits de pillage reprochés aux armées prussiennes, en 1870 comme en 1914 ?

Si l’Allemand semble mettre une sorte de pudeur à dissimuler les atteintes de ses troupes à la propriété, il n’éprouve nul scrupule à relater comme à commettre les plus graves violences envers les personnes : elles lui semblent une application légitime des lois de la guerre, telles qu’il les a formulées pour sa commodité, un moyen d’abréger la lutte par la terreur inspirée aux civils. En feuilletant les mémoires de vétérans de 1870, on n’a que l’embarras du choix entre les citations d’où ressortent l’existence et le renouvellement d’actes de cruauté systématiques et inutiles envers les habitans du pays. Sans

  1. Kretschmann, p. 141 de la première édition ; Wilmowski, p. 35.
  2. Bauriedel, pp. 104 et 106.