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administratifs : intendance, santé ou ravitaillement. A cet égard elle a passé en 1870, surtout par comparaison avec l’armée française, pour un modèle impossible à égaler. Là encore, les témoignages des intéressés trahissent un sérieux écart entre l’histoire et la légende. Les soldats bavarois sont partis en campagne avec des effets usagés, qui tombent en loques aux premières intempéries, et leur donnent l’aspect aussi minable que les plus déguenillés de nos moblots. Certains contingens prussiens ne semblent pas mieux partagés. Lorsque le IIe corps, détaché du siège de Paris, accourt à marches forcées pour rejoindre Manteuffel et couper la retraite à l’armée de Bourbaki, il suffit de quelques étapes à travers les plateaux neigeux de la Côte d’Or pour détériorer l’équipement et mettre les bottes en lambeaux : si bien que beaucoup d’hommes les jettent pour les remplacer par des sabots de paysans. Et l’un de leurs chefs, le capitaine Krokisius, de se répandre en imprécations contre l’improbité des fournisseurs et la négligence coupable de l’intendance ! Qui se serait attendu à retrouver dans le camp de nos adversaires ce scandale des « souliers à semelle de carton, » si souvent reproché, à tort ou à raison, au Gouvernement de la Défense nationale[1] ? Sur le front même, des employés de l’administration militaire détournent pour leur usage particulier la plus grande partie des cadeaux que des âmes charitables envoient pour les soldats, ou même pour les blessés. Sous Metz, un inspecteur de Iazareth trouve ainsi le moyen d’envoyer chaque jour à sa femme une somme qui varie entre 50 et 100 thalers. « De tels faits sont vraiment troublans, remarque à ce propos Kretschmann, qui nous révèle en même temps l’indifférence du corps médical à ces honteuses pratiques. Si je commande aujourd’hui à l’ambulance tant de bouteilles de vin et de saucisses pour les malades et que je m’y rende le lendemain, je constate qu’ils n’ont rien reçu. Mais, si je passe ensuite dans la chambre des médecins, je les trouve autour d’une table bien servie, le visage congestionné par le vin[2]. » Voilà une confession à laquelle les débats d’un récent conseil de guerre prêtent un singulier intérêt d’actualité.

Les auteurs de souvenirs sur la guerre de 1870 nous renseignent plus complètement encore sur leurs nombreuses

  1. Krokisius, pp. 104, 111 et 113.
  2. Kretschmann, pp. 131 et 149.