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Prussiens tués, cela suppose des munitions : nous étions prêts ! Alors, la guerre devait réussir ? Elle le devait !… Ah ! démontrez qu’elle a réussi ! Emile Ollivier le sent bien que, faute de cette impossible conclusion, toute sa dialectique chancelle. Mais que faire ? Il ne lâche point sa dialectique et, si j’ose dire, il s’y accroche avec un admirable désespoir. Ses récits de batailles, Sarrebruck, Forbach, Borny, Rezonville, Gravelotte, Saint-Privat, sont des chefs-d’œuvre de clarté. Il nous dit : — c’est ici, tout juste à ce point, qu’on s’est trompé ; — nous le voyons. Des chefs-d’œuvre d’émotion. Il nous indique : — c’est ici que nous tenions la victoire ; — et la victoire a filé ailleurs. L’impression qu’il nous laisse et veut nous laisser, un mot la résume : fatalité. Plus il s’efforce de démêler, à la rigueur, les élémens de ces combats, mieux nous apercevons qu’un hasard perpétuel y détraque toutes probabilités. Un hasard qui a cette particularité singulière de ne point s’éparpiller : tous ses coups frappent uniformément nos armes. Un hasard qui a de la suite dans les idées, c’est ce qu’on nomme fatalité. Pourquoi, le 17 août, n’avons-nous pas saisi la victoire ? Nous l’avions sous la main ; nous l’avions entre les doigts, et il n’y avait plus qu’à fermer les doigts sur elle. Emile Ollivier tâche d’expliquer Bazaine ; il n’y parvient pas : et Bazaine est incompréhensible. Bazaine appartient à la fatalité. Le 4 août, l’Empereur écrivait à son ministre : « Nous avons tout intérêt à traîner la guerre en longueur… » Il fallait se hâter, profiter de notre avance, frapper le premier coup : « nous étions perdus, » a dit Bismarck. Plus tard, quand l’armée de Mac Mahon, se repliant sur Paris, pouvait tout réparer : « C’est une honte de ne pas aller au secours de Bazaine ! » s’écriait Jules Favre. Tout le monde s’est trompé : la victoire aussi.

La somme des malheurs accable les initiatives et, en quelque mesure, les fautes. En présence de telles catastrophes, on se prend à redouter les occultes manigances du Destin. L’on se signe et l’on s’éloigne ; ou bien, comme les anciens, on ferme une clôture sacrée autour de ce lieu où est tombée la foudre.

Le dernier volume d’Emile Ollivier porte ce sous-titre : « La fin. » La fin provisoire ! La véritable fin s’appellera bientôt la Revanche.


ANDRE BEAUNIER.