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dissimuler ?) jusqu’à la haine de ces jours funestes et horriblement féconds, n’est-il pas vrai que nous voici, par l’influence des jours nouveaux, en disposition de ne pas méconnaître les bonnes volontés qui n’ont pas eu leur récompense, l’intelligence qui a fait de son mieux, le dévouement, l’abnégation, l’héroïsme et tout ce que la défaite a gaspillé de noble et de beau ?… « Il n’y avait plus rien… » balbutiait Bazaine, au Conseil de guerre ; « il y avait la France ! » répliqua le duc d’Aumale. La pensée de la perpétuité française nous détourne de maudire une seule année française. Elle ne nous incline pas à la mansuétude ou à la futile indulgence, mais à la simple équité : or, c’est tout ce qu’a réclamé, pour lui et pour son temps, l’auteur de l’Empire libéral.

N’allons pas par quatre chemins : la présente guerre dépend de l’autre guerre ; elle en est la suite et (veuillons-le !) la fin. Quiconque souffre de la présente guerre — et qui n’en souffre pas jusqu’au tréfonds de son être ? — déteste les lointains commencemens de la calamité. Alors, nous raisonnons vite ; nous cherchons la cause, nous la tenons dans notre main : nous hasardons le rêve de l’écraser, pour supprimer l’effet. Hélas ! la cause était elle-même un effet ; et il faudrait, de proche en proche, fouiller jusqu’aux origines qui nous échappent pour y saisir le germe : le premier germe ? non. A lire certains polémistes, on dirait que la querelle de la France et des Allemagnes date de Napoléon III et précisément du ministère Ollivier. Cette querelle emplit tous nos siècles et la tâche de notre pays consiste, dans l’histoire, à contenir, et à réprimer ou à vaincre, la Germanie. Mais, quoi ! nous l’avions vaincue, réprimée et contenue sans faiblesse jusqu’à l’autre guerre. Soudain, notre résistance fléchit. La Germanie est la plus forte ; elle s’épanche par-delà ses digues, qu’elle a rompues. Qui n’a pas su veiller sur les digues ? qui est le coupable ? La colère publique prononça la déchéance de l’Empire ; et elle se déchaîna contre le ministre de l’Empereur, Émile Ollivier, lui quasi seul entre tous, lui comme s’il avait été le seul, le maître absolu ; lui beaucoup plus que le ministre des Affaires étrangères, lui beaucoup plus que le ministre de la Guerre et les généraux, lui beaucoup plus que tout le Corps législatif, lui beaucoup plus que toute la nation, tandis que la responsabilité authentique est autrement vaste et que l’erreur a été universelle.