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avec vigueur, les Allemands poursuivent leurs efforts désespérés sur la tête de pont. Les minces réserves sont toujours employées sur l’autre rive. Ce sont les mêmes troupes que la veille, sublimes dans leur épuisement, qui vont rejeter les mêmes assauts : n’en ont-elles pas pris l’habitude ? Au-dessus d’elles, la même tempête se mêle au même bombardement ; mais celui-ci, négligeant aujourd’hui les tranchées, suffisamment démolies, s’acharne sur la halte de Caeskerke où se tient, impavide, l’amiral Ronarch, sur l’ancien moulin où travaille l’état-major de la brigade Meiser, sur la maison de Dixmude où s’est installé le colonel Jacques. Les murs s’écroulent, les toits se défoncent. Avec les éclats de briques et de tuiles, le vent et l’eau fouettent les visages. Il faut un courage surhumain pour rester sur place. Aux tranchées, les Allemands, comme effrités, viennent avec des effectifs de plus en plus réduits, à trois ou quatre, parfois seuls. Ils renouvellent les surprises d’hier. Comme hier, on les extermine à mesure. Soudain, un grand cri retentit du côté de la route d’Eessen : « Les Boches ! les Boches ! »

Il est minuit. Tout un bataillon allemand, profitant de l’ombre opaque, a pu se réunir sans donner l’éveil derrière les maisons qui bordent la chaussée, un peu en avant de notre position. Tout à coup, il se précipite, têtes en avant, saute par-dessus notre tranchée peu garnie, ne s’attarde pas à riposter aux coups de feu qui l’accueillent, bouscule le commandant Decamps revenu là depuis quelques heures et qui décharge sur eux toutes les balles de son revolver, s’engouffre dans les ruines de la ville, atteint la grand’place où il fait, en courant toujours, de quelques isolés, des prisonniers, pousse ceux-ci devant lui vers le pont de l’Yser, où leurs appels donnent l’alarme, et où le lieutenant Pollet, sautant sur une mitrailleuse, les arrête un moment. Le capitaine français Marcotte de Sainte-Marie fait de même donner ses mitrailleuses. Affolée, dans l’entre-choc des corps, la queue de la colonne, soudain coupée, se disloque, fait volte-face, s’enfonce à nouveau dans l’ombre et les décombres., Mais déjà le reste du bataillon, major en tête, a débordé la défense du pont. Une audace folle, une sorte d’héroïsme infernal les animent et les saoulent. Ils ne se dissimulent plus, leur clairon sonne la charge, leurs cris montent, rythmant sauvagement te refrain de Gloria ! Victoria ! Le colonel Jacques, dont