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du colonel Jacquet. En peu de temps, tout l’ancien front, sauf la ferme Bamburg, avait été réoccupé. Une violente contre-attaque, à l’aube du 23 avait été repoussée par les Belges. Maintenant, le long du canal de Furnes, les bataillons français défilaient, venant peu à peu relever, à la gauche de notre ligne, la 2e division d’armée. Les premiers élémens de la division Grossetti, — le 151e d’infanterie et un bataillon de chasseurs, — débarqués le jour même à Furnes, étaient à Nieuport dans la matinée. L’ennemi prévenu redoubla le bombardement de la ville qui, comme Dixmude, s’écroula. Les Halles s’effondrèrent, ne laissant debout que deux pignons à étages, l’église ne fut bientôt plus qu’une ruine calcinée ; seule resta debout la vieille tour des Templiers, donjon massif et dur du Moyen Age. Mais les obus visèrent surtout les six ponts par où commençait la relève. Les Français devaient y passer un par un, au petit trot, sous le plus effroyable orage. Ce fut un spectacle admirable que celui de ces hommes, se lançant sur les passerelles comme vers une fête, et abordant les soldats de la tête de pont avec des mots drôles : « On va à Ostende, s’pa ? » Il leur fallut toute la journée pour remplacer complètement les nôtres. Mais alors, tout de suite, par une martiale coquetterie, les nouveaux venus marquaient un petit progrès vers Westende. Nieuport fut ce soir-là le seul point du champ de bataille où l’on parlât de victoire.

La bataille cependant se poursuivait devant Saint-Georges où le 7e de ligne, du colonel Delobbe, qui venait de tenir une quatrième nuit, et qui, en même temps que l’ordre de mourir sur place, avait reçu la veille au soir, pour son drapeau, la croix de Léopold, se trouvait dans une situation critique. L’audace inouïe des batteries qui protégeaient ce régiment et qui, chaque fois que l’infanterie voulait forcer le passage, escaladaient les digues pour l’écraser à bout portant, avait, semblait-il, exaspéré l’ennemi qui, en même temps qu’à une lieue de là il fonçait tête baissée sur Schoorbakke encore résistante, essayait ici, après chaque tentative de ses fantassins, ses inventions infernales.

Vers midi, une énorme bombe éclata soudain en plein milieu d’une tranchée du pont de l’Union, dont les défenseurs furent anéantis. Une seconde tomba bientôt plus loin, faisant le même carnage. Ces engins mystérieux, dont le départ n’était marqué par aucune déflagration, dont aucun sifflement n’annonçait la direction et l’arrivée, tombaient silencieusement du ciel vide.