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déclinaient de jour en jour, il resterait le maître du pouvoir et l’arbitre de la situation.

Au cours de ces péripéties, Guillaume Ier, qui les suivait d’un œil anxieux, avait ajouté foi à toutes les inventions imaginées par son chancelier pour le rendre favorable à son entreprise. Comme un homme qui ne demande qu’à être convaincu, il s’était abstenu d’en vérifier l’exactitude, poussant si loin la crédulité qu’il avait fermé l’oreille aux avertissemens que multipliaient autour de lui l’Impératrice et les personnages de sa Cour, afin de lui prouver l’exagération des griefs imputés à la France par son tout-puissant ministre. Il avait cru aux intentions belliqueuses du général Boulanger, aux armemens auxquels, d’après les alarmistes, on procédait de l’autre côté du Rhin. On lui avait dit que l’Allemagne devait s’attendre à être attaquée et il ne doutait pas qu’elle le serait. A quel point il avait été trompé, on peut le voir en se reportant à un entretien qu’il eut avec un Français de marque au moment où la crise prenait fin.

Ce Français était le général d’Abzac. Ayant fait dans l’armée une grande carrière, aide de camp du maréchal de Mac Mahon pendant la guerre de 1870, et plus tard chef de sa maison militaire à la présidence de la République, ce brillant soldat était depuis plusieurs années personnellement connu de Guillaume Ier. Il venait souvent à Berlin où l’appelaient des relations de famille et, chaque fois, il allait présenter ses hommages au souverain qui se montrait heureux de le recevoir. Lorsque, au lendemain du succès électoral que venait de remporter le gouvernement, il se présenta chez l’Empereur, il y fut accueilli comme toujours avec cordialité. Mais il eut vite fait de comprendre que les calomnies dont la France avait été l’objet auprès de Guillaume Ier laissaient dans son esprit des préventions et de la rancune.

— Votre pays voulait donc nous faire la guerre ? demanda-t-il au général. Et comme celui-ci protestait, il reprit : — Si, si, je sais ce que je dis ; je suis bien informé.

Et d’une haleine, il reconstituait le tableau des griefs formulés par Bismarck, armemens, baraquemens, achats de chevaux, concentration de troupes sur la frontière… N’était-ce pas la preuve des mauvais desseins du gouvernement français, ou tout au moins de celui de ses membres qui le dominait