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de là, les tragiques événemens de 1914 seront la conséquence.

C’est l’année où se manifestent, à travers les incidens de la politique continentale, les germes et les symptômes de l’alliance franco-russe et où l’Italie, sous l’influence néfaste du ministre Crispi, signe le traité heureusement fragile et purement défensif, — du moins c’est ainsi qu’elle l’interprète, — qui confirme en le développant celui de 1882 et la fait d’une manière définitive l’alliée de l’Allemagne et de l’Autriche à la place de la Russie volontairement libérée des engagemens par lesquels elle s’était attachée à ces deux Puissances.

C’est enfin l’année de l’affaire Schnæbelé au cours de laquelle la France, confiante en son bon droit, témoigne unanimement d’un sang-froid, d’un calme et d’une résolution qui, pour la première fois depuis 1870, font comprendre à ses ennemis que leurs menaces ne l’épouvantent plus.

La conviction qu’elle leur avait imposée par son attitude ne fut pas étrangère, sans doute, à la détente momentanée qu’on voit alors se produire entre les nations rivales et dont toute l’Europe ne tarda pas à ressentir pour un temps les heureux effets. Mais cette détente eut d’autres causes. Le grand âge de Guillaume Ier, la maladie incurable de son fils le futur Frédéric III et l’inexpérience prétentieuse du prince appelé à leur succéder en constituent la principale origine. L’Allemagne pouvait-elle songer à se jeter dans la guerre lorsqu’elle était exposée à voir en quelques mois ou en quelques semaines, peut-être même en quelques jours, trois changemens de règne et le pouvoir impérial passer dans les mains d’un jeune homme de vingt-huit ans qui, jusqu’à ce moment, ne s’était pas révélé à son avantage ? Une telle perspective commandait de ne pas troubler la paix. Contrairement aux craintes qu’inspirait le prince Guillaume, elle se consolida après qu’il fut monté sur le trône en juin 1888, et durant l’année 1889, où l’Exposition Universelle tenue à Paris avait amené une trêve entre les rivalités européennes.

À cette époque, la puissance du prince de Bismarck est à son apogée. Depuis la création de l’empire d’Allemagne et le traité de Francfort, il est monté si haut, sa volonté, au dedans comme au dehors, s’est si souverainement exercée qu’on a pu dire de lui et qu’il avoue lui-même qu’il a été véritablement un dictateur. La chute imprévue qui, en 1890, met fin à sa dictature