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que Le Mordant est grièvement blessé. Combien d’artistes, actuellement au front, exposent ici, qui peut-être en ce moment l’ignorent ! C’est des mains de leurs amis venus en pèlerinage à l’atelier désert, que les commissaires de l’Exposition ont le plus souvent reçu ces toiles, œuvres de jeunes hommes qui auront réalisé tous les rêves : celui de l’esprit et celui de l’action.

La France nouvelle, la France mystique, de l’Idéal, du dévouement et de l’effort, s’exprime ici dans tout l’élan de sa pensée. S’inspirant des primitifs italiens, de Puvis de Chavannes, de Corot, le délicieux illustrateur des Fioretti de saint François d’Assise, Maurice Denis, évoque doucement les communiantes, innocentes figures laissées par la délicatesse de son pinceau à la pureté de leur rêve d’enfant, puis dans une teinte plus crue aux couleurs plus vives, si ce n’est trop vives, un paysage florentin, inspiré de Benozzo Gozzoli.

Après les impressionnistes, qui n’ont pas de composition ni de perspective, qui ouvrent simplement une fenêtre pour peindre sans relief, sans plans successifs, ce qu’ils voient, une figure, une cathédrale, un bord de l’eau, voici des peintres qui reprennent la grande tradition française de la composition, avec une nuance de poésie, mythologique chez les uns, chrétienne chez les autres. Des soldats à l’artiste, de l’action au rêve, la France retourne en ce moment aux grandes époques.

Venant en Amérique avec la fierté de ses œuvres et la mélancolie de ses douleurs, l’invitée, pour faire honneur à l’hôte, s’efforce de sourire.

Sachant, combien les Etats-Unis ont le culte de leur indépendance et des souvenirs qui s’y rattachent, elle leur porte des reliques de Rochambeau et de La Fayette : les meubles de la chambre de la marquise de La Fayette à la naissance du héros ; un portrait du général en civil, calme et railleur, un peu gros : son jeu de dames ; son grand portefeuille rouge ; un drapeau qui lui a été donné à son retour en Amérique, un simple drapeau fixé avec trois clous de tapissier a une hampe de bois, alors qu’au ciel constellé de l’Union ne brillaient encore qu’une vingtaine d’étoiles. Voici, très authentiques, des souvenirs de Rochambeau, un fauteuil du maréchal, un portrait du fils de La Fayette, le grand cordon de l’ordre de Saint-Louis ; enfin un mortier donné au Royal-Auvergne dont Rochambeau était