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des tartes. De mon temps, il s’en mangeait de succulentes en Lorraine. On en faisait de toute espèce, — aux quetsches, aux reines-Claude, aux groseilles vertes, aux cerises, à l’angélique, — depuis les grosses pâtes de ménage cuites au four du boulanger jusqu’aux feuilletés croustillans et délicats, qui réclament la chaleur égale d’un four de pâtissier. Enfin, la reine des tartes, — la tarte aux mirabelles, — la plus savoureuse et la plus juteuse de toutes. A Spincourt, les mirabelles étaient rarissimes ; mais nous nous dédommagions à Briey, où elles n’étaient pas non plus très communes, et où les meilleures nous arrivaient de la vallée de la Moselle. Celles de Rombas et de Rosselange avaient une grande réputation. Néanmoins, on les désignait toutes indistinctement sous le nom de mirabelles de Metz.

Une année, paraît-il, la récolte en fut si abondante que, dans les goûters et les sauteries de nos familles bourgeoises, on se bombardait, d’un étage à l’autre, avec des mirabelles. Cent fois, j’ai entendu ma mère rappeler le souvenir de cette récolte miraculeuse, qui, pour elle, est liée à l’apparition sensationnelle de deux jeunes filles extraordinaires dans notre petit monde de Briey. On les appelait, avec une nuance de considération toute spéciale : « Ces demoiselles Launoy d’Arrancy. » L’une d’elles fut la mère d’Henri Poincaré, le mathématicien, et la tante de Raymond, le Président. Tandis que les mirabelles de Metz pleuvaient jusque sur le plancher du salon, les deux demoiselles Launoy d’Arrancy exécutaient, au piano, un morceau à quatre mains, qui les couvrit de gloire et qui révolutionna toute la ville. Ce morceau s’appelait le Tintamarre parisien, et cette histoire lointaine se passait aux environs de 1850…


C’est la destinée de notre pays que des images de guerre se mêlent à tous ses plaisirs. Ceux de ma première enfance furent parcimonieux et mélangés, et c’est encore sur des images de guerre que se clôt, pour moi, cette période de demi-inconscience.

En 1873, nous assistâmes à la retraite des Allemands victorieux, après le paiement intégral des cinq milliards. Nous les avions presque oubliés. Je me souviens qu’à la fin de l’hiver de