Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’esprit de Gotfried de Strasbourg revit, sous une autre forme, dans le grand prédicateur Jean Tauler, et le merveilleux artiste de Colmar, Martin Schœn, laisse loin derrière lui, par sa grâce idéale, tous les artistes allemands !

Nous ne nous étonnerons donc plus que, dès le commencement du xvie siècle, on ait pu compter jusqu’à trente-cinq imprimeurs alsaciens-lorrains livrant au public des livres français, et que la France, à cette époque, ait eu à Strasbourg des partisans assez nombreux pour faire naître les craintes d’une domination française qui mît fin aux libertés alsaciennes. De cela, une controverse célèbre de deux humanistes strasbourgeois, Wimpheling et Murner, va, en l’an de grâce 1501, nous offrir le témoignage attachant et probant.

Wimpheling était un savant pédagogue né à Schlestadt, formé à l’école latine qui y florissait, mais dont Strasbourg était devenu la patrie d’adoption, de même que pour son adversaire, le moine franciscain Thomas Murner, qui, lui, était né à Obernai.

Wimpheling avait commencé par être un partisan de la France, à l’instar de ceux qu’il va combattre, mais on ne sait à quelle occasion il fut amené à sonner une cloche d’alarme, comme si les libertés strasbourgeoises couraient, du fait de la France, les plus graves périls. Il publia à cet effet un opuscule intitulé Germania, auquel Murner répondit l’année suivante (1502) par une Nova Germania. Ce sont des écrits infiniment précieux pour le sujet que j’ai abordé. Il est donc essentiel d’en connaître la substance.

Dans son épître dédicatoire au magistrat de Strasbourg, Wimpheling retrace l’état d’esprit qu’il veut dénoncer, comme offrant les plus graves dangers.

Il débute en ces termes :

« Beaucoup de gens (multi) estiment, illustres sénateurs, que votre ville de Strasbourg et les autres cités de la rive gauche du Rhin appartinrent jadis aux rois des Français, reges Gallicorum, et, par-là, ces rois ont été, à diverses reprises, incités à les revendiquer… C’est ainsi que le dauphin Louis, fils aîné de Charles vii, quand il envahit l’Helvétie ou l’Alsace, en l’an 1444, indique parmi les causes de son expédition qu’il voulait revendiquer les droits de la maison de France (domus Galliae), qui doit s’étendre jusqu’au Rhin, et que dans ce dessein il se proposait d’assiéger votre ville